Parallel universe (5/5)

Nous voici arrivés dans ce cinquième et dernier chapitre de nos aventures aux USA, après un mois et demi de vadrouille, d'Atlantique à Pacifique. Cette ultime partie vous comptera succinctement dans un premier temps la grosse semaine passée depuis ma fuite de Las Vegas jusque mon départ de Los Angeles, et dans un second temps, je vais tâcher de faire une sorte de conclusion des Etats-Unis, tels que je les ai vu, vécu, tels qu'on me les a décrits et rapportés.

Cet article aurait dû s'appeler quelque chose comme Californication. L'état le plus riche des USA, troisième plus grande superficie (derrière l'Alaska et le Texas si vous avez suivi nos précédents écrits) est en effet le fief d'une vie culturelle très active et sa scène musicale a notamment eu une emprise très forte sur moi, depuis mes premières découvertes du médium. Je pense forcément aux Red Hot Chili Peppers pour le titre, mais aussi à un groupe comme System of a Down (qui après expérience, incarne tellement cette ville puante de Los Angeles); mais comment ne pas aussi mentionner le fief du cinéma, Hollywood, ou encore cette côte qui a drainé à elle toute une littérature via les récits autobiographiques de John Fante, Jack Kerouac, John Steinbeck ou l'un de mes favoris, Charles Bukowski. La Californie est aussi le lieu de naissance du skate, qui mine de rien tient une place importante dans ma vie, et même si ça fait longtemps que je n'en fais plus, je continue semaine après semaine à en regarder avidement. Qui dit skate dit naturellement surf, son grand frère. Outre ses plages, l'état possède quelques-uns des plus beaux parcs nationaux, une agriculture très développée grâce à sa variété géologique et météorologique, bref, on finit rapidement par voir pourquoi après la Grande Dépression, c'était perçu comme un Eldorado.

WELCOME TO SKY VALLEY

Nuitamment je débarque à la station essence de North Palm Springs après un rapide transit à Los Angeles. Je m'étais arrêté dans un diner de la chaîne Denny's (piqué par ma curiosité, mon voyage tirant vers sa fin, j'ai voulu tester cette franchise) afin de bouffer quelque chose, et bon, le service était déplorable (c'est ce moment tant attendu pour moi où je n'ai pas laissé de pourboire pour manifester ma colère sur le laisser-aller total des employés), le milkshake glacé (j'ai encore peine à croire que ça vient de chez eux cette invention, au moins la moitié d'entre ceux que j'ai bu étaient infâmes) mais avant tout ça il y a eu cette scène où je m'étais assis à ma table, et en voilà, ça fait 10 minutes que je suis à Los Angeles quoi, c'est pas rien, et le mec en face de moi, sur ces petites banquettes de diner, a de la gueule, genre je le voyais déjà un peu Mickey Rourke dans un film, mi nonchalant, mi poseur, jusqu'à ce qu'un cuisinier bien costaud raboule et lui demande gentiment de partir sans faire d'esclandre parce que soit-disant la dernière fois ça s'était mal terminé. Et là, on est dans un film parce que le gars regarde le comédien en face de lui, et il te joue l'incompréhension, plus encore, l'amnésie !!! Je suis sur le cul tellement c'est sincère et le gars est désolé mais il ne se rappelle pas, vraiment ? Oh, si vous le dites, je suis confus, je ne voulais pas créer de problèmes, et il s'en va. Bienvenue à Los Angeles, quand on a vu ça, on est sûr d'avoir mis les pieds dans la mauvaise partie de l'asile.

Revenons à Palm Springs. Qu'est-ce que c'est, pourquoi je vais là ? C'est en plein désert. À deux bonnes heures de la capitale, on dépasse San Bernandino et au milieu de nul-part et des champs d'éoliennes cette fois, Palm Springs. Ville connue notamment pour son architecture, quelque part c'est Maude qui m'envoie voir ça quand je me demande que visiter dans ces vastes contrées, alors je fais une tambouille entre les différents biomes, un peu de mer, un peu de terre, et voilà Palm Springs. Mais North Palm Springs est juste une petite station essence située sur l'autoroute à 5 miles de l'entrée de la ville, alors je patine je patine en pleine nuit jusqu'à entrer dans Palm Springs et me rends à ce genre de parc que j'ai remarqué sur Google Maps où me dis-je, je serai bien tranquille. Erreur mon cher Watson, six heures du matin, c'est l'arrosage automatique qui me tire du lit ! Eh oui, qui dit installer sa tente sur une pelouse bien verte en plein désert californien dit forcément arrosage intensif. Allez, passe encore, il pleut sur la toile, ça la nettoiera. Pas bien longtemps plus tard, c'est un gus qui promène son chien qui vient me faire un cirque style « on aime pas bien les p'tits gars dans votre genre par chez nous », que la pelouse n'est pas un camping et que j'envoie chier gentiment. Sérieusement, c'est un lieu public et des ploucs arrivent encore pour te donner leur avis, c'est pas seulement borné à l'Amérique ce genre d'histoire, mais bordel qu'est-ce que c'est désespérant de voir des gens perdre leur temps et leur énergie à faire que le monde entier se conforme aux règles qu'ils se sentent respecter. Et comme c'est parti, je prévois le petit appel aux flics de la part du citoyen consciencieux, alors je me lève et je plie bagage de l'autre côté de la haie, dans le désert, histoire de sécher la toile de tente. 9H du matin, on lorgne sur les 22 degrés, pas mal non ? Ça nous ferait pas regretter les 2000m de l'Arizona ! Pour cette première journée et courte nuit, je décide de m'octroyer un petit jour off, à découvrir un peu la disposition de la ville et rapidement... ouf... c'te chaleur... la trentaine de degrés passés, j'en viens à plus rien foutre que me calquer à l'ombre et siroter un peu d'eau fraiche. Pour mon grand plaisir je découvre un petit resto péruvien, malheureusement pas aussi bon que le boui-boui de Newark, mais ça fait toujours du bien par où ça passe. Je dois dire qu'en arrivant dans ce centre commercial où se trouve à la fois la laverie et le resto péruvien, une chose m'a choqué plus qu'aucune autre : la large population gay de Palm Springs. Je me demandais si c'était parce qu'aussi gros que le supermarché local il y a une salle de sports où tous se rendent, mais non, au moins la moitié de la ville est assez explicitement gay. Au-delà des drapeaux des fiertés brandis sur les façades, voitures et bars, c'est même la mairie et l'office du tourisme qui arborent dans l'ordre, le drapeau des Etats-Unis, celui de la Californie (avec l'ours là) et celui des fiertés ! Incroyable non? Deuxième truc qui m'a très rapidement choqué, c'est la richesse de la ville. Comme Las Vegas, Palm Springs est un peu une aberration en plein désert. La plupart des maisons sont des propriétés de rêve (pas les miens) avec des pelouses luisantes et verdoyantes (lessivées plusieurs fois par jour!!), où sur la petite voie de garage une (minimum) belle et grosse bagnole attend sous le soleil. J'ai parlé d'archi, mais c'est là la vibe qu'essaye de reproduire toutes les maisons du patelin, un esprit design californien typique que je saurais pas mieux décrire que les photos de ce compte insta. Une fois le truc capté, le soufflet retombe à plat, on est et reste dans un repère d'ultra bourges où il n'y a pas grand chose à faire que regarder les façades, se demander qui couche avec qui avant de tracer sa route. Ça tombe bien, la nuit arrive, alors j'monte nicher ma tente au-dessus d'une impasse avec des baraques à plusieurs millions et me voilà roi de la colline, plus un bruit, aah quelle bonne nuit ce fut. Le lendemain matin, descente sur l'axe principal de Indian Canyon et de bon matin les agents de circulation sont déjà en plein ménage. Piqué de curiosité, je demande ce que ce ramdam signifie : c'est la gay pride aujourd'hui ! Ça alors ! Alors moi qui pensait m'extrader vers le parc national le plus proche, je revois mon agenda et donne un crédit à cet événement que je ne tarde pas à comprendre réputé et attendu. Le long de l'artère commerçante, les premiers américains s'installent avec leurs petites chaises de camping (ils ont tous ça là-bas, à croire que ça vient avec le passeport ou à la naissance), leurs glacières, et que ça lézarde pour trouver le moindre recoin d'ombre parce le soleil monte et la chaleur s'impose rapidement. Je m'installe à un endroit et je finis naturellement par échanger avec mes voisins tandis que la parade commence. Ah oui, ici la gay pride a plus l'air d'une caravane de Tour de France qu'un genre de réunion festive et dansante. Des chars, assos et des bagnoles défilent en vous distribuant des conneries aux couleurs de leur marque et en vous souhaitant une « happy pride ». On est dans la récupération dites-vous ? Noooon ? Vraiment ? Je veux dire, même des candidats pour les prochaines élections descendent la rue et vous serrent la main aux côtés des refuges pour animaux ou fanfares scolaires (un court aparté mais j'avais déjà remarqué lors du match de gala de football américain à Fort Worth que la constitution des orchestres scolaires était quasi exclusivement une équipe de geeks/premiers de la classe binoclards/marginaux boutonneux, eh bien mon observation s'avère d'autant plus fondée après le défilé de trois nouveaux orchestres ce jour, les gens beaux ne soufflent visiblement pas dans des tubes percés pour se faire remarquer). La bonne nouvelle c'est que si vous étiez dans le besoin, vous pouviez repartir de là avec une collection d'éventails, de pins, de gadgets qui font des bulles, de tshirts, de bonbecs, de petites boissons à essayer, lunettes de soleil et j'en passe et des meilleurs, aux couleurs bien souvent du drapeau sus-mentionné. Couleurs qui je dois le dire, sont bien vendeuses pour la plupart des marchands ambulants qui vous proposent de leur côté une sélection de parapluies, chapeaux et jusqu'à pénis tricotés format géant (je parle pour moi hein, mais le bazar faisait au moins 40 ou 50 centimètres) avec lesquels les couples se font d'aimables bifles tout en rigolant. Vous l'aurez compris, on est dans un genre de fête de la saucisse typiquement américaine et l'expérience était assez what the fuck comparée aux parades européennes. Une femme m'a abordé en début de parade, un peu en détresse, elle avait besoin de parler à quelqu'un et c'est tombé sur moi. Cela faisait deux ans qu'elle venait d'emménager à Palm Springs et c'était la première fois qu'elle assistait à la parade, pour l'édification, pour dire d'en avoir vu une quoi. Je lui demande comme ça comment elle trouve Palm Springs depuis son installation. Sa réponse ne se fait attendre : trop d'hommes gays. Ah, c'est vrai que si on est un peu homophobe, ça peut poser un souci d'habiter ici. Et elle continue son laïus en disant que ce n'est pas normal et qu'il faut être un peu dérangé pour être comme ça, que le seigneur blablabla, vous connaissez l'histoire à laquelle je coupe court en lui disant que c'est son avis et qu'elle peut aller camper ailleurs si ça lui chante, rien ne la retient au milieu de ces couples qui se polochonnent avec de gigantesques pénis qu'elle n'a plus dû voir depuis peut-être un moment. BREF.

Plus intéressant, rencontre et discussion avec Todd, de Los Angeles, en déplacement spécial pour la parade, grand événement national pour la communauté gay dont il fait parti. Ce dernier m'apprend qu'outre l'importance et les moyens mis en œuvre pour cet événement, Palm Springs est en réalité depuis les années 30 et les débuts d'Hollywood un lieu de résidence et villégiature des artistes et aussi un endroit où, à l'abri des regards de Los Angeles, des lieux débridés et des minorités sexuelles s'épanouissaient. Ah, voilà un peu d'histoire que diable ! Ceci explique cela. Et depuis le phénomène n'a fait que grandir jusqu'à devenir une ville totalement open aux minorités. Je vais même vous dire que sur la porte des toilettes du resto péruvien, il y avait comme logo homme/femme/trans-trav/enfants. Woaw, ça c'est plaisant quand même ! De fait, je parle de gay pride, mais naturellement se joint à l'événement toutes les minorités sexuelles avec également une grande représentation des drag queens, « très » populaires grâce à diverses émissions tv aux Etats-Unis. Une qui fait moins l'unanimité à son passage, c'est la communauté dogging (individus qui se masquent et comportent comme des toutous), mais qu'importe.

Le lendemain je mets le cap sur le parc national le plus proche : San Jacinto. Il y a bien au nord Joshua Tree et son désert, mais il est plus difficile d'accès. Pourtant je remarque sur sa route la localité de Sky Valley qui donne son nom et sa pochette à un album que j'aime passionnément de Kyuss, tant pis. Après un petit coup de stop, sans difficulté, j'arrive au téléphérique de San Jacinto. Il y a bien une super rando à faire de 34 km (Cactus to clouds, presque 3000m de dénivelé positif) mais j'ai un bus à prendre au soir et trois jours dans cet antre à pognon, c'est déjà trop. Après une dizaine de minutes de cabine sur l'une des lignes les plus raides du monde (+2000m d'ascencion) nous voici à l'entrée du parc national où que les Doors sont allés ! Malheureusement aucune rando moyenne n'est dans mes cordes pour le peu de temps qu'il me reste alors je décide simplement de faire une boucle de 2 miles et déjeuner puis dormir sur un caillou chaud de soleil devant une vue à couper le souffle sur la vallée de Palm Springs/Coachella (où se trouve le festival du même nom) et au loin la Salton Sea. Le parc est très boisé, principalement des pins et de petits ruisseaux qui coulent entre les roches. Avec un peu de chance on peut se faire attaquer par des pumas ou des serpents, mais ce ne sera pas mon jour. Au retour, ce sont trois amis venus de Denver pour voir la gay pride de dimanche qui me ramènent en ville, je retrouve Titine la trottinette que j'avais caché dans un buisson et je repars à la station de Palm Springs North pour embarquer vers LA et me diriger vers la côte.

SUR LA PLANCHE SUR LA VAGUE

Surfer me manque. Ça me rappelle Cadiz, l'Atlantique froid et cette expérience unique d'à la fois caresser cet élément puissant mais tout en le craignant et en le respectant. Après une nouvelle arrivée en pleine nuit dans la localité de San Juan Capistrano, je mets le cap sur la plage de Dana Point au petit matin. C'est malgré ce temps résolument gris que je découvre pour la première l'océan Pacifique. Au loin la côte s'étend d'une drôle de façon. La plage longuement aménagée est surplombée de falaises d'une trentaine de mètres ponctuées par des baraques immenses. Ma mission du jour ? Patiner jusque Laguna Beach, plus au nord, me poser sur une plage et profiter du soleil qui repointe le bout de son museau. Sur la plage des 1000 Steps (du nom de l'escalier bien raide qui y mène) je m'allonge dans le sable et tente de corriger les traces de bronzage du cycliste qui ont la dent dure. Après une petite pizza, un coup de bus gratuit (si si!) qui longe la côte et conduit au centre de Laguna Beach, je rencontre par hasard Noah, un jeune local qui tient une sorte de friperie dans deux garages mitoyens. Cet échange de plus d'une bonne heure nous permet de parler de musique (Ty Segall a grandi à quelques pas d'ici!!) mais aussi des conditions de vie pour les jeunes d'aujourd'hui dans une ville comme Laguna Beach (on y revient plus bas), qui au même titre qu'à peu près toute la côte de cette partie de la Californie est ostensiblement pétée de thunes. Les baraques se succèdent, avec des vues imprenables sur les côtes (quand elles ne sont pas posées sur une pointe ou au sommet d'une colline) et des architectures dignes des catalogues. C'est après quelques errances pour trouver un coin où poser la tente que j'imite le local : moi aussi je veux ma vue à plusieurs millions ! Et ainsi je m'endors pour cette dernière nuit sauvage au sommet d'un quartier utlra friqué, quel petit plaisir. Chemin inverse le lendemain matin, même si j'ai un petit pincement au cœur de voir plusieurs gars s'éclater dans les vagues, mon retour à Los Angeles pour ma dernière nuit américaine arrive. Sur une plage juste avant de quitter Dana Point, je retrouve un collègue hobo qui voyage en train de marchandises (ouin, pourquoi je le rencontre seulement maintenant lui?) et qui bien que natif de Rochester (New York) ne veut pas faire de vieux os dans la patrie d'Elvis. Comme je le comprends.

Après une altercation avec un contrôleur de l'Amtrak (SNCF américaine) qui refuse de me laisser monter dans « son » train rapport à ma trottinette qui ne se plie pas, perdant ainsi deux heures à poireauter sur un carré d'herbe à attendre le suivant, j'arrive dans la cité des SDF, Los Angeles, où on est accueilli à la sortie de la gare par l'un de leurs représentants qui vient de littéralement chier au sol et s’essuie longuement au vu et su de tous. Il est temps que ce voyage se termine. Pour cette dernière nuit, j'ai cependant trouvé la foi, l'énergie, d'aller jusqu'à un concert au Zebulon Café (distant de 6 miles de l'auberge de jeunesse que j'ai réservé, la dernière c'est promis si si!) pour voir non seulement ce groupe de doom italien que j'aime, Messa, mais aussi découvrir le trio allemand de Maggot Heart qui envoie du bois ! Je fais la route aller et retour à pattes (soit vraisemblablement plus que ce que certains américains feront en un an), rentre à une bonne heure du mat' et trouve mes deux voisins en mode roupillon, avant que leurs réveils respectifs ne sonnent vers 5h et 5h30 (c'est toujours un plaisir) et que je ne puisse plus me rendormir. Le reste ne fut qu'une lente et longue route, la dernière à patiner, à travers des quartiers immondes, vers un garde-bagage au prix mirobolant et l'aéroport de LA. Cette ville est comme chacun m'avait prévenu un véritable repoussoir et un aimant à pauvreté. Je fais bien de ne pas trop m'y arrêter. Formalités, aéroport, ouf, c'est presque terminé.

POUR EN FINIR AVEC LE MEILLEUR PAYS DU MONDE

Me voilà dans l'avion et c'est effectivement un ouf de soulagement qui me délivre de l'Amérique. Si le récit est maintenant terminé, que j'y ai parfois glissé quelques petits points d'observation ou de compréhension auxquels j'ai pu parvenir par mes rencontres, je souhaite ici les redévelopper plus synthétiquement, afin d'établir une manière de conclusion à ce mois et demi passé en Amérique. Primo, comme disclaimer, je dois vous dire que je suis arrivé ici avec les meilleures intentions du monde, avec une image même rêvée, idéalisée de ce qu'était le pays, mais qui, après expérience, est un récit qui ne colle pas du tout avec la réalité. Pourtant ce récit perdure, vit et a la peau dure. Je veux dire, je me souviens des prières récitées avant chaque rodéo, où tout le public était debout, main sur le cœur, solennel et sérieux comme vous n'avez jamais réussi à l'être à un enterrement, ces prières remerciaient le drapeau, symbole et miroir de ce que ce « beau et meilleur des pays » permet et a permis, et tout le monde autour de vous semble y croire. Mais je vais être honnête, parce que c'est pour ça que vous me lisez, que vous avez déjà une idée de la déception que j'ai rencontré en m'aventurant sur ces terres, et je vais vous dire ce qu'est selon moi l'Amérique, parce qu'elle a dû bien changer depuis ses belles années flower power où tout était possible mais où beaucoup restait à faire.


À L'ORIGINE

L'Amérique est originellement peuplée par des tribus indiennes puis colonisée par les européens. Des vagues d'immigration successives chassent ces indiens et s'approprient leurs terres, construisent eux-mêmes leurs communautés (c'est un terme clé, on y reviendra) et s'agrègent ensuite en systèmes plus vastes pour assurer leur survie, représentation (face aux colonies étrangères), défense et reproduction. Un point qui n'a pas fini de me revenir en tête tout au long de ce voyage, c'est que ce pays est le fruit à la fois d'un domptage de la nature époustouflant (franchement, pour l'époque, traverser et vivre dans les déserts sans eau et les montagnes froides de zinzin, c'est plus qu'un exploit, de la folie pure) mais surtout d'une violente expropriation (et la violence tient une place de choix tout au long de l'histoire intime de ce pays). Ainsi m'apparaît la Californie (plus que n'importe quel autre état) mais ce sont des gens qui arrivés sur un bout de terre qui était le dernier avant l’océan ont un jour dit « bah voilà, de là à là, maintenant c'est chez moi ». Et ce quelque chose fait écho nécessairement au discours séculaire de la nation américaine, un pays où chacun a le droit de rêver et s'accomplir, mais à quel prix ? Ces pionniers qui ont tout réussi sur ces étendues sauvages sont aussi des assassins et des individus qui n'ont pas hésité à retirer le pain de la bouche d'autrui pour parvenir à leurs fins. Après ça, il y a bien entendu la question de la répartition des richesses, puisqu'entendu qu'il y avait tout à faire, il y a les petits paysans qui sont arrivés pour se refaire la cerise, se sont démerdés pour mettre un sou de côté et créer petit à petit la success story du gars qui va finir p'tete un jour par sortir du trou à bouse qu'il s'est construit, et puis ceux qui se serrent les coudes, ou arrivent avec des capitaux, et bâtissent déjà leurs empires, prêts à employer les plus démunis. Tout ça, c'est sans parler de l'esclavagisme qui tient une place prépondérante pour l'édification du pays. Quand une soixantenaire se plaignait du virage prit par le pays, loin de ses soit-disant origines, de sa cohésion et de sa mixité, je me permets de lui rappeler que c'est la fable qu'on lui a apprise depuis l'école et pas la réalité (tout comme en France on évoque timidement notre passé colonial et ses ravages, l’esclavagisme américain est encore un sujet minoré dans les programmes éducatifs). La réalité, c'est l'esclavagisme. Ce pays s'est principalement fondé sur et grâce à ça. Et encore aujourd'hui, je veux dire, il y a une division très nette, très profonde, les blancs en place ou parvenus ne l'évoquent qu'à demi-mot de peur d'être entendus, mais ils parlent du fait que certaines « communautés » (entendre minorités de couleur) font sécession au sein d'une sorte de société traditionnelle américaine. C'est un discours qui me rappelle nécessairement les événements de l'année 2020 et du mouvement Black Live Matters, qui a je pense dû secouer et mortifier pas mal de bons racistes qui (sont très présents aux États-Unis et) jusqu'alors se sentaient rassurés qu'on puisse toujours se reposer sur un ordre racial tacite dans le fonctionnement de la société américaine grâce à une constante pression policière et un parcage des populations de couleur bien sages dans leurs « ghettos » et acceptant leur sort sans broncher sur une base de pacte social.

Mais la division ne s'arrête pas là. La division en Amérique est non seulement profonde mais multiple, et elle me renvoie nécessairement à là d'où je viens, la France, l'Europe, nos propres malaises et sujets de société. Il y a la politique premièrement. Donald Trump a clivé l'Amérique en deux, je pense que c'est aussi simple que ça. Le vieux Jimmy, papy agréablement moderne de Birmingham me racontait qu'il avait vraiment perdu plusieurs amis depuis l'apparition du magnat dans la vie politique. Outre le clivage qu'on ne peut résumer à un duel Biden/Trump, il y a une lassitude, une perte de repères (palpable chez nous aussi) dans ce climat de division, un sentiment que la politique n'est qu'un jeu de chaises musicales et qu'elle ne fera que raffermir les positions des plus riches et fragiliser les plus précaires (et c'est une des cordes sur laquelle arrive à jouer et convaincre Trump). Voilà une autre division, un canyon, un gouffre comme j'en ai rarement vu dans ma vie : richesse et pauvreté. Il ne s'agit pas de parler des californiens qui sont tous beaux et ne sont toujours pas au bureau à 10h du matin un mardi, préférant la promenade le long de l'océan avec leur chérie gonflée à bloc. Il ne s'agit pas non plus du clodo, du toxico, du sans papier qui dort à la rue. C'est l'écart et les situations crées qui sont terrifiants. Je vous ai parlé de ces quartiers entiers que j'ai traversé, à Richmond, Virginie, ou à Birmingham, Alabama, ou encore Wilmington, Delaware, des quartiers à l'abandon. Des maisons qui s'effondrent, des déchets partout, une criminalité sous-jacente, de l'alcoolisme, de la drogue, des mauvais traitements, une économie à peu près morte-vivante, sur des blocs et des blocs et des blocs, et un même constat, cette pauvreté, ces quartiers ne sont livrés qu'à une population afro-américaine. Des américains vivent au milieu de ça, dans le pays le plus riche du monde.


VOUS AVEZ DIT RACISME ?

Même si on sent un vent de progrès de la part des États-Unis sur ce plan parce que ses minorités sont de plus en plus actives et enclines à se faire respecter, le racisme et la ségrégation sont toujours omniprésents selon moi. Pourtant, je me souviens de ce vieil afro-américain que je questionnais sur le sujet devant le Dollar Tree d'Amarillo, Texas, pas le coin le plus progressiste du monde, et lui me disait (il avait partagé sa vie entre Texas et Californie, avait été SDF puis retrouvé un job) qu'il n'avait jamais vraiment souffert de racisme, qu'il était devenu musulman il y a bien longtemps et qu'on ne jugeait les hommes que sur les actions et pas leur couleur de peau. Si seulement.

Il y a un racisme, parce qu'il y a une inégalité flagrante des chances selon que vous naissiez noir ou blanc ou latino ou autre. Il y a inégalité parce que le système public américain est une faillite à peine masquée. Parce que l'organisation de la société ne laisse aucune place au mystère de qui va réussir à s'en sortir (et comment) et qui va pourrir dans son quartier. Et ce ne sont pas les quelques transfuges ou les égéries métisses ou les fables des rappeurs sortis du ghetto qui sont tant en vogue (et qui prouvent qu'il y a une faim qui ronge les appétits des jeunes générations américaines) qui vont changer la donne. Parce qu'il ne s'agit que d'exceptions et d'heureux élus (encore un rappel à l'American self-made man) et parce qu'il ne s'agit pas que de racisme. Le racisme est la face émergée de l'iceberg, c'est celle qu'on veut montrer du doigt pour continuer à diviser et monter les communautés les unes contre les autres, avec ce mirage du remplacement (je vous rappelle juste que les classes moyennes sup' blanches prenaient leurs jambes à leur cou et abandonnaient leurs baraques des banlieues dès que le quartier « s'assombrissait » trop à leur goût, pour foutre leurs enfants ailleurs que dans ces écoles où des familles colorées avaient maintenant les moyens d'envoyer les leurs). Le véritable sujet sous-jacent c'est la lutte des classes. Et les pauvres white trash qui maudissent leurs homologues à la peau tannée se fourvoient tout autant que les communautés minoritaires qui décident de ne plus jouer le jeu et vivent en vase clos. Le problème n'est pas l'immigration qui est un bien nécessaire (et un retour de flamme de la zizanie/spoliation instaurée dans ces pays qui sont bien souvent nos ex-colonies) à nos démocraties capitalistes qui génèrent toujours plus de boulots précaires dont les citoyens ne veulent plus. Le problème c'est une répartition des richesses qui se concentre année après année ainsi qu'une mise aux enchères des acquis sociaux et des services/marchés publics, activant la déperdition de nos sociétés basées sur le principe de solidarité et l'évidente fragilisation des couches les plus populaires.


DURA LEX

Pendant mon voyage, deux choses m'ont aussi marqué :

  • le nombre de panneaux d'interdiction sur la voie publique, dans les parcs, parkings, restaurants, propriétés privées est simplement hallucinant. Ces interdictions renvoient naturellement à un respect des lois drastique, suivi par une majorité. Mais George au Texas contrebalançait ce respect par une filouterie toute américaine qui est d'exploiter au maximum les failles d'une législation pas toujours précise, notamment en terme de business et d'interprétation. Ainsi, il prenait l'exemple de l'existence de Drive thru (littéralement, c'est de la vente à emporter où tu viens sans descendre de ta bagnole, comme sur l'extérieur du Macdo) qui vendaient de la picole. La picole sur la voie publique est interdite aux États-Unis, encore plus au volant, tu te le figures. Eh bien tour à tour, ces établissements modifient leurs contenants afin qu'ils ne rentrent pas dans le cadre de la loi et soient sujet à interdiction ou arrestation. Et ce n'est qu'un petit exemple de la filouterie de l'homme blanc.

  • Le second point qui m'a marqué c'est combien les américains suivaient les règles établies, et combien ils voulaient que les autres fassent comme eux (et ça peut faire écho à leur volonté plus large de régir le cadre international et de s'imposer comme législateurs/médiateurs un peu partout). Un épisode m'a particulièrement ébranlé, c'est lors de mon dernier train en Californie, que le contrôleur qui était à bord de ce dernier arrêté à quai, a refusé que je monte parce que ma trottinette ne se pliait pas complètement. Dans le compartiment à bagage où j'étais censé la ranger avec mon sac à dos énorme, l'engin se fondait dans la masse et ne gênait personne mais IL FALLAIT RESPECTER LES RÈGLES voyez. J'ai vraiment failli en venir aux mains avec ce trou du cul qui avait visiblement choisi (parce que je suis jeune ou étranger je suppose) de me pourrir ma journée.

Et puis il y a les flics (ou la tonne d'agents de sécurité). Dans un premier temps j'ai tenté de m'en tenir le plus éloigné possible, craignant de tomber sur les cowboys qui me foutraient au trou pour délit de sale gueule. Il y a cet épisode dans le New Jersey où un premier flic me réveille alors que je campe sur le terrain de baseball municipal et où une heure après un de ses collègues vient m'arrêter parce que je fais du stop et que c'est illégal dans cet état (où il n'y avait pas de transport en commun), mais dans les deux cas, les gars étaient sympas, je dois le redire, et puis je n'ai plus eu affaire à aucun d'entre eux. À Fort Worth, Texas, ou à New York, plusieurs fois j'ai vu des interactions plutôt agréables entre les habitants et les officiers tout sourire, je me disais, putain ils sont détente, loin de l'image I can't breathe des tueurs ambulants de minorités que j'avais en tête (d'ailleurs, les troupes ont l'air plutôt mixtes en origine et en sexe vu de loin). Et c'est de l'Arizona, puis de la Californie, de la part de blancs mais des classes pop' que j'entends un autre son de cloche. Le premier en avait gros sur la patate, chauffeur de car, la quarantaine, une moitié de vie de SDF à San Francisco derrière lui, puis remontage de pente mais jamais les moyens de s'installer dans un appart, le gars vivait dans une caravane qu'il déplaçait de temps à autre, parce que l'Amérique (qui fait face à une crise du logement, on va y revenir) ne tolère pas ces habitants itinérants/précaires. Cet homme évoquait non seulement sa déchéance des droits chaque fois qu'il avait affaire à des policiers qui le harcelaient, le contrôlaient, l'arrêtaient à loisir, mais aussi le lourd soutien que cette police reçoit de la part des communautés établies, en tout bien tout honneur, peu désireuses de voir ces « étrangers » s'installer à leur abord (de là, délation, calomnie et dénonciation abusive etc). Le second est un jeune de 25 ans de Laguna Beach, qui n'a d'autre choix pour le moment que de vivre à l'arrière de son camion. Même chanson, voisins qui appellent le 911, flics qui intimident, passent plusieurs fois par jour, cherchent la petite bête et le dérapage. Tout ça pour quoi ? J'en reviens au point précédent, une protection de l'ordre établi gerbante.

Et quelque chose auquel j'ai vraiment eu du mal à accéder avec ce voyage, peut-être un peu trop bref, manquant de profondeur dans mon exploration des différentes communautés, c'est la contre-culture. Ce terreau qui fait pousser les fleurs de la révolte, ces groupes d'enragés, d'indignés ou juste de rebelles, je ne les ai jamais vu même si j'ai finalement entrevu ce contre quoi ils se soulevaient.


SILVER AND GOLD

J'ai parlé d'inflation un peu plus haut, souvent je me suis plaint du prix que ce soit des hôtels, des restaurants, de la bouffe en général. Cela tient en partie du fait que tous les prix que vous voyez (exception faite des supermarchés et quelques autres lieux) sont souvent hors taxes (celles-ci variant d'un état à l'autre). Même après un mois et demi, l'exercice reste pénible, car à toutes les sommes que vous vous attendez de payer, il vous faudra rajouter au moins 10% de taxes, et c'est sans compter un éventuel pourboire si vous êtes dans un bar ou un resto. La culture du tips (on donne en général 15% du total) est compréhensible même si elle a évolué depuis le COVID notamment. Il est aujourd'hui interdit de ne plus payer un serveur et que ce dernier ne vive que sur les tips. Mais reste que ces montants font généralement évoluer une note de resto abordable à goût amer en bouche. De manière générale c'est le prix de la vie aux USA qui fait peur et qui explique en grande partie qu'avec un salaire égal, qu'on soit en Europe ou aux USA, votre qualité de vie serait comme le jour et la nuit.

Je vous ai mentionné une crise du logement dans mes récits (j’en oubliais presque les conséquences évidentes de la crise des subprimes de 2008 qui touchèrent d’autant plus les états du sud), j'ai sans doute parfois évoqué quelques prix mais je vais vous les rappeler parce qu'ils sont, depuis notre Europe où nous vivons aussi une inflation notable depuis le COVID, saisissants. On me dira, oui, New York, forcément que c'est cher, 2 à 3000$ le studio, c'est la capitale toussa toussa, très bien. Flagstaff, Arizona, charmante petite ville s'il en est, étudiante (ce qui explique son marché anormalement élevé), un studio ? 1800$ par mois. Vous n'êtes pas bigleux, 1800$ par mois, pour vivre genre à Clermont-Ferrand (no offense Flagstaff) ! Et ce n'est rien, comparé à ce que des villes comme Los Angeles, Denver, Austin ou New York peuvent proposer comme tarif. Je veux dire, qu'on peut doubler a minima cette somme pour la même surface. Ce californien de 25 piges qui vit et est originaire de Laguna Beach, s'est trouvé deux garages mitoyens pour entreposer ses affaires et tenir une sorte de friperie. Les deux garages n'ont de la place que pour un seul véhicule, ainsi il gare son camion dans lequel il dort devant et il les loue 1100$ par mois parce que la friperie est pour lui le seul moyen de faire rentrer des thunes et penser à sa survie. De là, on imagine aisément que ce marché étouffant, étendu à tout le pays (même en Alabama les investisseurs rachètent comme des vautours des baraques croulantes pourvu qu'elles soient à proximité des villes pour les retaper et les proposer à la location à des tarifs prohibitifs), mettent forcément sur le carreau une partie de la population dont je ne mesurais pas tout à fait l'ampleur (et leur nombre est en vérité difficilement évaluable). Même si je n'ai pas de statistique précise à vous apporter, de plus en plus d'américains (salariés ou non, plus de 90% d'entre eux possèdent un véhicule) en viennent à passer leurs nuits sous ce toit de fortune. Et je ne cite là que les américains, tout cela c'est sans compter les migrants, ou les caravanes, les tentes, les cabanes miteuses qu'on peut trouver sur les bords des routes ou sur des parkings ou zones à l'écart des regards. Le phénomène est malheureusement bien trop réel et certains états ou comtés sont forcés de réagir devant l'étendue de la crise.


LE PAYSAGE RESTE, LE PAYS CHANGE

Le drame (et la revanche) de l'Amérique, c'est qu'elle entraine avec elle dans ce que certains de ses habitants ont qualifié devant moi de « déchéance » le reste du monde grâce à sa position majeure sur la scène internationale. Sans vous parler par exemple d'un nivellement culturel vers le bas véhiculé par l'industrie audiovisuelle (particulièrement flagrant dans la production de films ou la grille TV proposée, le traitement des informations), des fruits pré-découpés et épluchés vendus en barquette plastique dans tous les supermarchés pour 3 fois le prix ou du crowdfounding qui est tout ce qu'il a de plus américain (parce que les pouvoirs publics ne répondent pas à la demande des habitants, que ce soit en terme de santé, infrastructures, services, les communautés se regroupent et s'entraident, ainsi seulement ainsi certaines solutions deviennent bien réelles), c'est en fait que s'il m'a été dit à plusieurs reprises que « le pays est plus comme avant, les gens sont méfiants, ils sont recroquevillés sur eux-mêmes, ils ont peur mais c'est normal avec tout ce qu'on leur montre à la télé » (ce qui arrive aussi chez nous, dans une moindre mesure quand même), alors sans doute l'Amérique a bel et bien changé. Bien sûr, de ma petite perspective française/européenne, nourrie aux films des années 60 aux 90s, à toute l'imagerie et musique hippie et à ces générations de zicos rejetant le modèle mainstream de ce qu'est leur pays (au final, quand on nage dans cette eau, on oublie d'où on vient de plonger si vous voyez ce que je veux dire), le choc fut rude. Parce qu'effectivement la plupart des américains sont polis, sympas et aidants, mais juste ce qu'il faut, jamais plus. Après mes dernières expériences (et accueils/rencontres chaleureux en Corse, en Italie notamment), mettre un pied dans le bain américain est un coup de froid inattendu. Je veux dire, peut-être que je n'ai pas rencontré les bonnes personnes, peut-être que je n'ai pas été dans les bons endroits, mais le maximum qu'on m'ait proposé durant ce mois et demi de vadrouille fut une douche bienvenue, venant d'une française installée à Richmond depuis une vingtaine d'années. Ouch.

Je vous ai parlé des communautés plus haut. Il y a un sentiment très fort d'appartenance aux communautés, « raciales » (le mot fait grincer des dents en français mais c'est comme ça qu'on dit en Amérique) peut-être dans un premier lieu (votre couleur, votre origine), mais qui se décline aussi en tout un tas de petites subdivisions. Je vous ai parlé du crowdfounding, un exemple d'un docu ce sont ces amish qui n'ont jamais souscrit à aucun régime de santé et qui pour l'opération d'un des leurs (petite digression, j’en ai pas trop parlé, mais mieux vaut être en bonne santé aux USA, les factures des hôpitaux sont astronomiques, pour exemple, mon pote George qui se casse le gros orteil chez lui, de manière bête, urgences, radio et compagnie, pas d’opération, 6000$ de facture; autre exemple venant de Devon, texan installé à NYC, un de ses amis a eu un gros accident de voiture, coma pendant deux mois, plusieurs opérations, facture à la sortie de l’hosto, 500 000$, les impôts lui prélèvent un montant chaque mois pour rembourser cette note qu’il ne finira sans doute jamais de payer) les amish donc font ces grandes cérémonies/ventes de leurs biens/productions, c'est tout le village/les cousins/proches qui s'y mettent pour réunir le montant nécessaire. Mais une communauté désigne également un quartier, et plus petit encore, un pâté de maisons, l'anglais n'est pas très précis dans ce cas, on dit toujours neighbourhood, voisinage/quartier. C'est en Amérique que je découvre un nombre anormalement élevé de ces neighbourhood protégés par des grilles, des gardes, des caméras. Des rues complètes fermées aux curieux et aux personnes étrangères. Venant d'Europe, c'est assez choquant de voir ces quartiers entiers repliés sur eux-mêmes, particulièrement présents au Texas ou en Californie (corrélation évidente avec une richesse, un patrimoine à défendre/protéger). Et c'est en fait une tendance plus globale qui est trahie par ces aménagements. Le monde a changé le 9 septembre 2001. Le pays de l'immigration par excellence a pris peur et quasi fermé ses frontières. Quand j'évoquais l'influence des États-Unis sur le reste du monde, je ne vois pas comment omettre de parler de son impact direct sur la France, notamment via l'activation (jamais révoquée depuis, mais peut-être à cause de nos politiques étrangères) de notre plan cocorico Vigipirate. Voici un court extrait trouvé sur le sujet :


« L’analyse que rendait publique le Fonds monétaire international au lendemain des évènements du 11 septembre invitait les dirigeants du monde à prendre acte de la fin d’une ère de stabilité fondée sur l’équilibre des forces et de l’entrée dans un nouvel environnement planétaire maintenant axé sur la gestion du risque. Pour minimiser ce risque, plusieurs pays, surtout en Occident, investissent dans la sécurité. »

Parce qu'outre la politique nationale adoptée (aux États-Unis : les questionnaires que tu remplis avant d'entrer, les officiers de la douane qui te sondent sur tes intentions, la gestion des flux migratoires ; en France : les patrouilles, contrôles d’identité, fouilles des sacs, omniprésence des vigiles) c'est aussi le marché de la sécurité privée qui a explosé et permis à tant de foyers de s'équiper d'une manière ou d'une autre. Jamais dans ma vie je n'ai vu autant de panneaux indiquant la présence d'un système de sécurité pour garder une propriété (sans parler de l’espace public surveillé par caméra). C'est proprement hallucinant, et je ne doute pas un instant que ça n'aie pas eu un effet psychologique sur les masses qui baignent là-dedans depuis des années. Avec le 9 septembre, la technique dite du White Flag (regrouper la nation derrière un même but/événement, à savoir défendre la nation/la liberté -des peuples, ce qui est quand même plutôt ironique quand on sait comment nos démocraties rassies ont justement cette tendance à déposséder le citoyen de ses pouvoirs) alliée à la stratégie du choc (théorisée par Naomi Klein) a tantôt refermé le pays et ses habitants sur leurs propres vies (et les temps sont durs, alors je relance d'un survie, comment appréhender des jours meilleurs quand on paye difficilement son loyer chaque mois) mais aussi (et c'est tout le propos de Naomi Klein) plongé le pays dans des plans et des réformes en matière d'économie ou de droits des citoyens (sous couvert de protection ou défense nationale).


ET POURTANT

Vous a-t-on jamais parlé d'effort ? D'écologie, de ces petits gestes pour petit à petit, au quotidien, faire tourner la planète vers un sens plus durable. Eh bien sachez que tous ces efforts sont balayés en une fraction de seconde par le mode de vie étasunien. C'est un constat effarant, mais non seulement la conscience de la nécessité (voire de l'existence en fait) de ces gestes est peu commune, mais surtout, le pays tout entier fait usage d'une quantité inconsidérée de plastique, d'emballages de toute sorte, de couverts à jeter, c'est une situation tellement extrême qu'on n'en a plus vu de telle depuis au moins 10 ans chez nous. Je veux dire que même dans un restaurant, on peut vous faire manger dans ces trucs jetables.

Pourtant, dans ce pays si grand qu'on a cru sentir bon d'instaurer des miles à la place des kilomètres afin de ne pas terroriser ceux qui prendraient la route avec des distances dingues à parcourir et des nombres démentiels (100 miles font 161km à titre d'exemple), bords de route jonchés de détritus, de maisons ou carrosseries abandonnées, dans ce pays dessiné par les chariots des pionniers devenus véhicules pompant les réserves pétrolifères du continent (pour info, le litre est beaucoup moins cher que chez nous, le gallon –soit 3,7 litres– est aux alentours de 3$), par delà sa faune particulièrement impressionnante (et j'entends par là dangereuse) à savoir ses coyotes, ses pumas, ses serpents, ses alligators, ses opossums, biches (pour l'anecdote, il s'agit là de l'animal le plus meurtrier du pays, devant les ours ou les scorpions ou autres saloperies venimeuses) ou ratons-laveurs, bin reste que les États-Unis sont un bel endroit.

Je ne vous parle pas du 7 Eleven planté sur le bord de route de Palm Springs, Californie, ou de la zone commerciale d'Amarillo, Texas, non, mais je me souviendrai encore longtemps de cette vue sans pareil sur la myriade de buildings de New-York. Comme je ne suis pas prêt d'oublier la beauté ineffable du Grand Canyon. Ou même, plus anecdotique, la route qui défilait sous la fenêtre d'un bus qui me conduisait à travers l'Arizona. La découverte de la côte Pacifique ou simplement le vol des oies sauvages un matin près du ranch de Cowtown dans le New-Jersey. Et comme je les énumère, je me rends bien compte que je n'ai qu'effleuré ce patrimoine naturel unique. Mais serait-ce assez pour prétendre revenir aux États-Unis ? La question s'est imposée rapidement à moi. Souvent, quand je voyage, j'ai un sentiment très clair sur le fait ou non de revenir à un endroit. La Corse ou Palerme sont pour moi des lieux qui m'ont fait tellement vibrer que c'est inenvisageable pour moi de ne pas y retourner prochainement. Avec ce voyage en Amérique, très franchement, je ne pense jamais remettre les pieds dans ce pays (exception faite de New-York pour la photographie mais sous d'autres circonstances/conditions), pour tous les points que je vous ai mentionné précédemment, qui ont généré une fatigue inattendue et une telle lassitude dans mon esprit. Je me souviens du moment où j'ai réalisé avoir mis assez d'argent de côté pour un gros voyage comme celui-là (on parle de plus de 4000€ en tout), j'hésitais entre le Japon et les USA, et mon choix s'est finalement déporté sur les USA notamment à cause d'une réticence linguistique qui m'empêcherait de profiter pleinement de l'expérience nippone. Est-ce que je regrette pour autant ce choix ? Pas du tout. Parce qu'il m'a permis de connaître et comprendre un petit paquet de trucs et de me confronter à un autre continent, une autre manière d'appréhender le monde, les distances, les autres, et c'est ça le suc du voyage. C'est pour ça que je voyage, pour ne pas regretter de ne pas m’avoir donné cette opportunité de me faire ma propre idée sur ce qu'est un lieu, une population, en me renseignant, me documentant, en interrogeant les gens qui vivent là. Bref, ainsi se conclut cette chevauchée de New York à Los Angeles.

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