Ride the lightning (4/5)

Etant entendu que le Texas est bien grand comme il faut, c'est pas moins de 8 heures qui me séparent d'Amarillo depuis Fort Worth dans un bus qui poussera bien plus loin, jusque Denver, Colorado (pas loin de la supposément petite ville de South Park). J'y arrive un peu avant minuit et ce n'est jamais l'heure la plus simple pour trouver un endroit où poser la tente. Le bon point en revanche de cette heure tardive, c'est qu'un coin tranquille trouvé restera -a priori- un coin tranquille jusqu'au matin. Un petit check GPS en amont s'impose et je pousse ma trottinette jusqu'à un lac (que je ne verrai jamais qu'ailleurs que sur la carte car bizarrement celui-ci a été remplacé par des herbes hautes) où une fois à l'abri de ma toile plastique, ce sont des bourrasques, de la pluie et des orages qui m'empêchent de fermer l’œil jusque deux heures du matin. Amarillo est mon dernier arrêt dans cet état, c’est la plus grosse ville au nord et comme on s'y attend, elle est super étendue. Les villes américaines, pour ceux qui dormaient dans le fond de la classe quand je faisais mon exposé, sont bâties sur le principe du quadrillage (le plan hippodamien diront les essssperts) afin de faciliter la construction mais surtout la répartition des propriétés (parcelles égales un peu partout en ville). C'est ainsi qu'autour d'une mairie (city hall) et des quelques commerces antiques que se construit le centre-ville, bientôt campé par des édifices plus hauts que larges et qu'année après année, les prix augmentant en fonction de l'attractivité du centre, les commerces se sont délocalisés petit à petit en périphérie, avant de donner ces mall (surfaces immenses avec des centres commerciaux). De toutes façons, tout le monde avait une bagnole (signe de la réussite et de l'indépendance du travailleur américain, le transport public c'est pour les assistés) ! Et alors naturellement, les villes se sont étendues. À Amarillo, je dois avouer qu'il y a pas grand chose à faire même si ses deux seuls points d'intérêt sont à l'une et l'autre extrémité de la ville (un peu en dehors même, de quoi « goûter » aux paysages texans qui sont en fait à ma grande surprise tout plats, tant et si bien qu‘on y voit clair à des kilomètres à la ronde) et distants de... tenez-vous bien... 21 km (à vol d'oiseau, en trottinette c'est un peu plus vu que les américains sont pas foutus d'avoir des trottoirs cleans et praticables). Première halte, après une route qui n'en finit pas sous le soleil, gouttes de sueur tombant les unes après les autres depuis mon chapeau de cowboy et s'abattant sur le béton (j'en ai rien dit dans le dossier Fort Worth, mais oui, 20 dollars dans un Antique Mall -genre d'immense marché aux antiquités), s’érige The Big Texan. Basé sur l'ancien tracé de la mythique Route 66 (pour les non-initiés, c'est un itinéraire qui partait de Chicago jusque Los Angeles, super emprunté pendant la grande dépression des années 30 par les familles qui rêvaient de Californie, puis par les hippies, voyageurs de tout poil, jusqu'à sa fermeture/déclassement en 1985, certaines portions restant conservées, d'autres remplacées par de nouvelles routes), ce restaurant dans son jus propose une halte honnête aux routiers de passage. Mais s'il est connu, ce n'est pas pour servir le fameux BBQ texan à ses clients, mais plutôt pour son challenge typique de chez typique : manger un steak de 2 kilos sur une estrade, devant toute la salle, en moins d'une heure (le record est de… 4 minutes). Le faire, c'est repartir avec une note on the house (offerte par la maison), ne pas y arriver... c'est deux semaines de cachot. Non, bon j'en sais rien, mais le plus gros morceau en dehors de ce steak sur la carte atteint les 80 dollars donc il doit y avoir un arrangement. Aussi, je n'ai pas participé à ce cirque, je fais dans le feutré moi, avec une assiette de brisket et de ribs sans demander ma tendre et bien aimée moutarde pour ne pas faire de vagues. Là où je détonne dans le décor c'est quand je commande une salade en accompagnement, la serveuse s'est rapproché de moi de peur que le reste de la salle ne m'entende. Et franchement pour moins de 20$, ce fut à la hauteur des attentes. Ce qui fut moins à la hauteur des attentes c'est la route longiligne et bruyante pour revenir en ville, ville dans laquelle il ne me reste plus qu'à errer, d'un bout à l'autre puisqu'à son autre extrémité se trouve une « sculpture » atypique en plein milieu d'un champs. Nez dans la terre, dix Cadillacs sont alignées par un trio d'artistes depuis 1974, successivement taguées et repeintes par les curieux qui s'arrêtent dans ce bout de terre qui longe l'autoroute. Et entre tout ça, il y a bien entendu un bout de l'historique Route 66 qui passe en ville et insuffle à un quartier un peu de vie commerçante. J'ai été très surpris (et heureux) de trouver à Amarillo une véritable chiée de boutiques d'antiquités et de bibelots des temps passés. Après une seconde nuit, je tourne un peu en rond d'autant que le bus que j'ai réservé jusque Gallup, Nouveau Mexique, n'arrive que vers minuit. Ces journées où vous n'avez nul part où aller, ou poser votre barbas sont fastidieuses. Le vent souffle en continu, le soleil finit par décliner, je me pose dans un premier bar, puis un second où un jeune chanteur entonne des titres de country d'une voix monocorde et usante tandis que j'essaye de me concentrer pour finir un énième burger et que la serveuse qui m'a intitulé « Foreign guy » (le gars de l'étranger) me ressert à volonté de la ginger ale. Mon salut vient de nul part. J'attends dans une rue avec mes affaires que le temps passe et en face de moi un bar célèbre en avance Halloween. Des groupes de jeunes y viennent et en sortent et l'un d'eux me prend en pitié et me donne un bracelet pour accéder gratuitement à la soirée. Il est à peine 23h, des jeunes déguisés (parfois très très peu) affluent de toute part, je me demande que faire de mon immense sac et de ma trottinette et finalement le vigile me dit de les mettre dans son réduit le temps que je reste au bar, tout me sourit ! À l'intérieur, la barmaid m'offre un verre et un joli sourire tandis que je retrouve mon sauveur au micro en train de rapper sur des tubes connus de tous, sauf de moi. La soirée se poursuit et s'échauffe, beaucoup de danseuses offrent des positions très suggestives sur la piste tandis que je les immortalise avec mon flash dans leurs déguisements. Enfin, l'heure arrive, je grimpe dans un nouveau bus pour le reste de la nuit.

ARIZONA TEA

Il est environ 7h du matin quand j'aperçois les premiers panneaux annonçant notre arrivée à Gallup, petite ville du Nouveau Mexique où j'ai l'intention de m'arrêter, pour voir ce que c'est un peu. Le paysage qui s'est déroulé nuitamment jusqu'au petit matin était principalement constitué de désert plat, parfois assaisonnés de ces petites montagnes solitaires que l'on peut voir dans le fond des cases de Lucky Luke. Nous sommes en terres indiennes, natifs américains ! Comme dans l'épisode de South Park, ceux-ci tiennent vraiment des casinos le long de l'autoroute ! On peut aussi voir ces caravanes, mobile homes et cabanes à peu près abandonnées au milieu de ces contrées arides qui ne sont pas sans m'évoquer Arizona Junior (plutôt qu'Arizona Dream dont j'ai siffloté l'air principal pendant un bout de temps sans avoir jamais su apprécier ce Kusturica) mais surtout d'immenses panneaux publicitaires pour des magasins de souvenirs et de bijoux des tribus locales, l'un d'entre eux s'annonçait vraiment plusieurs dizaines de kilomètres avant, et puis chaque deux ou trois kilomètres vous effectuait un rappel en vantant sa nourriture, ses tapis ou ses couvertures, et enfin, à son approche, les panneaux se succédaient à un intervalle beaucoup plus régulier de sorte qu'à la sortie indiquée, trois panneaux disaient dans l'ordre : « IT'S HERE » (c'est ici), « TURN NOW » (tournez maintenant), « YES IT'S REALLY HERE » (oui c'est vraiment ici) et c'était assez rigolo. Beaucoup moins rigolo, c'est de voir que l'arrêt de bus de Gallup est à une station essence à au moins dix bornes de la ville et qu'il fait un froid sibérien en cette matinée de fin octobre. Je réfléchis quelques minutes tandis que la chauffeure et les passagers sont partis se ravitailler en clope/café et je décide de rembarquer en scred, espérant que la chauffeure ne remarquera rien et qu'elle ne comptera pas son nombre de passagers avant de redémarrer. Ouf ! Je laisse passer un arrêt et au second, j'arrive à Flagstaff, Arizona, destination à laquelle je comptais de toutes façons me rendre après Gallup, économie faite d'une trentaine de dollars. Là aussi, je me dois de remarquer une chose à ma descente du car, le froid ! J'ai perdu a minima dix ou quinze degrés depuis le Texas alors que je me dirigeais toujours plus à l'ouest, sur les mêmes latitudes, je n'y comprends rien. Un rapide coup d’œil à la météo me convainc qu'il ne me sera pas permis de dormir dehors tout le temps que je resterai à Flagstaff, les nuits sont dans le négatif ! Je me dégotte donc le moins cher des motels pour trois nuits (on parle de 240€ tout de même, prix du weekend oblige), afin de me reposer et de profiter de cette ville dont Agathe m'a dit du bien. Et effectivement, Flagstaff a tout d'une petite ville vraiment sympa... avant que je ne comprenne qu'elle trône à plus de 2000m d'altitude ! Ceci étant dit, cela explique les températures merdiques. Mais je dois dire que Flagstaff a un côté très charmant. Son centre ville rappelle notre bonne vieille Europe ! Oui oui, ils ont concentré leurs magasins en un même quartier ces bougres d'amerloques ! Mais ils n'ont pas renoncé pour autant à leurs vraies racines, vous trouverez toujours les mall (centres commerciaux souvent autour d'une grande enseigne style Walmart ou Target –bouffe/vêtements– ou Dillard's pour le luxe) en périphérie de la ville pour éviter le dépaysement. Comme la montagne est proche, on y retrouve aussi une palanquée de magasins d'outdoor et un bon nombre également de friperies pour mon plus grand plaisir. Je profite d'un arrêt dans un diner très dans son jus pour un petit-déjeuner sucré salé ultra costaud (œufs brouillés, bacon, saucisse, pommes de terre, pancakes et milk shake), tellement garni que je dois proprement m'enfoncer les derniers bouts de pancake dans le gosier pour éviter de trahir mon origine étrangère (je dis ça mais les américains gaspillent et laissent généralement énormément de nourriture). Autre truc sympa à Flagstaff, sa proximité avec la montagne. À son sud se trouve la petite ville new-age de Sedona (carrefour tellurique et énergico-spiritualiste) mais à son nord, c'est Grand Canyon qui attire toute mon attention. Y aller ne s'avère pas simple, pas de train (un depuis Williams, à une heure d'ici mais pas accessible depuis Flagstaff) seulement une navette se charge trois fois par jour et pour une quarantaine de dollars (aller) du trajet.

RETROUVER LE SILENCE

L'histoire c'est qu'à Megève, dans les hôtels où je travaille, j'ai affaire à la classe haute des clients du monde, et par leur sympathie, leur calme et coolitude, ce sont les américains que je préfère. Très compréhensifs, heureux d'être ailleurs que chez eux (je les comprends trop bien dorénavant), lorsque j'ai émis à certains d'entre eux l'idée que j'irais bien visiter leur pays, une seule destination m'est revenue à l'unanimité : « you must see the Grand Canyon ». Alors je ne suis pas le plus grand des randonneurs (loin de là), je marche juste beaucoup par habitude et je campe au moins deux mois par an dehors parce que je n’ai pas de domicile, mais là, je dois avouer que le Grand Canyon, rien que sur le papier, ça a de quoi impressionner. J'arrive un matin, ayant laissé mon surplus au motel de Flagstaff, sac sur le dos, prêt pour affronter le froid, la faim, et deux jours de rando afin de découvrir ce lieu géologique unique au monde. Mais avant d'affronter la réalité, il est arrivé ce truc :


L'ANECDOTE DU CHAUFFEUR DE BUS

Le complexe pour recevoir les visiteurs est vaste. Il est desservi en plusieurs points par des bus gratuits. Dans ces navettes, le chauffeur a un micro qu'il peut utiliser pour annoncer la prochaine station (une annonce pré-enregistrée le fait aussi) et il y avait une famille avec un petit enfant (genre 6 ou 8 ans) qui allait faire la même rando que moi (bah oui, quand vous croyez être en forme, y'a des marmots de 6 ans qui vous tiennent la dragée haute, ou des fous qui la font en courant, j'ai même croisé deux gars, VTT sur le dos parce qu'interdit de rouler sur les pistes, qui traversaient le canyon jusqu'à la sortie nord, non mais allo les zozos). Alors le chauffeur de bus est guilleret, très appliqué dans ses annonces (voir même trop, on sent que le gars y met tout son cœur et cherche le battle avec la voix enregistrée), et il discute via son micro avec le petit gamin tout embarrassé d'être le centre des attentions d'un bus d'une quinzaine d'étrangers. Et le chauffeur se souvient alors de cette histoire :

« Un jour, j'ai décidé d'emmener ma femme et mon fils dans le Grand Canyon.

Il avait ton âge à peu près et on lui avait préparé un petit sac, pas bien lourd bien sûr, un kilo quoi, juste histoire qu'il porte quelque chose.

Comme j'ai été militaire, j'étais habitué aux randonnées avec les paquetages lourds. Alors je lui dis au gamin : “papa il faisait ça tous les matins quand il était dans l’armée tu sais!” On est descendu jusque Indian Garden pour la nuit et le lendemain on est remonté et mon fils tirait un peu la tronche.

C'est trop difficile ? que j'y demande

Dis papa, me répond mon fils, quand t'étais militaire, tu devais vraiment porter ce sac et marcher longtemps tous les jours ?

Oui, que j'y réponds, pourquoi fils ?

Désolé papa, mais j'crois que j'serai jamais militaire. »

Et tout le bus a rigolé de cette charmante anecdote.

RETOUR AUX AVENTURES

Revenons au direct. Je dois vous dire que mes mots, même mes photos (je vais vous en mettre un bon nombre comme ça vous aurez à boire et à manger) ne pourront pas adroitement rendre la réalité de ces décors. Gigantesque, immense, lunaire, surréel, ce sont des adjectifs qui me viennent à l'esprit si je dois décrire ce que j'ai vu et vécu. L'expérience commence par un choc, une surprise. Je ne sais pas vraiment ce que j'attendais, mais j'imaginais que le canyon se dresserait devant moi, que j'étais à ses pieds, mais non, à 2000m d'altitude, nous sommes à son sommet et la faille s'ouvre béante devant nous à un point culminant qui est aussi un point de départ d'un des quelques sentiers de randonnée qui s'engouffrent à l'intérieur des centaines de kilomètres du parc national. Quand je dis « s'ouvre béant » c'est que le canyon est un trou, la falaise chute brutalement sous vos pieds et qu'elle crée ces écarts de niveau, délivrant tout un nuancier des couleurs et matières de roche qui composent ces murs. Alors bien entendu, il faut aimer un peu les tas de cailloux, marcher longtemps et être tout sale. Le vent qui claque certains versants des flancs où sinue le petit sentier soulève par moment des nuages de sable. La végétation est réduite à peau de chagrin, à peine quelques cactus et des arbres morts se dressent au loin, au milieu d'herbes sèches et piquantes qui n'ont d'autre leitmotiv que « chacun pour soi(f) ». Peu d'ombre aussi sur cet itinéraire, où les hautes marches descendent petit à petit vers la Colorado River qui enfin se dévoile par un mince filet plus émeraude que le reste de la végétation cramée par le soleil. Les premiers kilomètres, vous venez à croiser quelques personnes qui s'aventurent dans ce chemin sans eau jusqu'à son terme, ou qui en reviennent barbouillés de poussière en pleine errance mentale et physique, puis passé un certain point plus rien qu'enfin du silence. Enfin. Du silence en Amérique. Woaw, ça c'est quelque chose de nouveau pour moi. Plus un oiseau, plus un avion, plus un train, plus un véhicule, plus personne pour baragouiner quelque chose, à peine un peu de vent qui fait frissonner les herbes et siffle son air entre les pierres, mais c'est tout, et si beau, si précieux et reposant. Allez je vous épargne mon laïus hippie reconnecté à la terre, j'atteins après un peu moins de 4h et 11km pour 1500m de dénivelé négatif, le camp de Bright Angel près de la plage et du ruisseau du même nom. Un permis est obligatoire pour passer la nuit ici. Il vous en coûtera 22$ juste pour poser la tente et profiter des WC et de l'eau potable. Quelques pas plus loin, Phantom Ranch : un point relais pour les voyageurs qui propose restauration, dortoirs privés et gîte pour les mules. Ces dernières sont avec l'hélicoptère le seul moyen d'accéder et ravitailler la plupart des différents sites de Grand Canyon. Un ranger passe tous les soirs relever les permis, pistolet, taser, menottes et gaz lacrymo pendent à sa ceinture. À mon grand étonnement, l'homme a plus sa place à Paris contre les manifestants pro-Palestine que dans l'accoutrement de garde forestier, mais soit, c'est l'Amérique. Amérique aussi, sa faune dangereuse, et notamment ma première rencontre avec un serpent à sonnette (rattlesnake) sur les rochers du bord de la rivière. Grosse frayeur car il était à 3 ou 4 mètres de moi et qu'à peine l'ai-je entendu faire sonner sa queue que j'ai pris mes jambes à mon cou de peur de me faire mordre par cette bête ultra venimeuse qui ici, peut signifier votre subite fin de carrière. La nuit n'est en revanche pas aussi froide qu'attendu en bas (altitude de 500m environ), elle me laisse par contre le temps de regretter le ruissellement du ruisseau au silence que je venais de retrouver et au petit matin je repars par un autre itinéraire, Bright Angel Trail, 15km et 1500m de dénivelé positif cette fois, puisqu'il me faut remonter au sommet. Entre 8 et 10h je ne croise à peu près personne. Les versants que je gravis sont à ma grande surprise beaucoup plus verts grâce à la présence d'un ruisseau qui coule entre ces murs fabuleux. Les paysages sont encore à couper le souffle. Mon seul regret est qu'il faut vraiment s'arrêter pour profiter des panoramas pleinement car comme à l'aller la piste est souvent chaotique et l'accident peut vite arriver, au milieu de nul part, ici où la couverture mobile est défaillante (mais c'est pas plus mal d'être vraiment coupé du reste du monde, comment qu'ils faisaient les indiens du temps du papy ?). Après cinq heures de marche, de belles courbatures dans les cuisses (à cause de la descente de la veille) et grand soif, je me hisse tel un héros de nouveau parmi mes semblables et je repense à cette ranger française qui m'a conseillé cet itinéraire (et que je remercie au passage, Sarah) qui déplorait que sur les quatre millions de visiteurs annuels, une grande partie ne restait qu'en haut pour faire les photos de bon aloi et s'en aller fouetter d'autres chats. Autre statistique, c'est que le bureau des rangers délivre environ 6000 permis par an pour les campeurs (d'une ou plusieurs nuits, mais avouons que ça fait peu par rapport au nombre total de visiteurs) et que les secours sont mobilités au moins 1000 fois par an pour sauver des visiteurs victimes de chutes, malaises ou déshydratation (car le changement d'altitude et l'extrême chaleur en été de 30 à 40 degrés sont à prendre d'autant plus au sérieux que moi à ma période de bébé). Les images parleront d'elles-même maintenant, c'est un lieu qui m'a fait penser à certains coins de Corse par moment (vers ma tendre Piana notamment) par la couleur de ses pierres (rouge/orange/ocre), j'en garderai un très bon souvenir, l'un des meilleurs de ce voyage assurément.

SIN CITY NOUS VOILA

Avant de devenir ce plat aride qui laisse place nette au premier champs de panneaux solaire du Nevada (dont on se demande s'il se termine un jour), l'Arizona lâche ses dernières cartouches en matière de jolis paysages montagneux et désertiques desquels on verrait presque la cavalerie débouler si on plissait assez les yeux. À Bullhead City, sorte d'oasis au milieu de ce paysage en mode cuisson/chaleur tournante, monte à bord du car un type qui m'a marqué. D'origine argentine, il est né et a grandi à Los Angeles. Son anglais, malgré sa cinquantaine tassée, est rudimentaire, à tel point que je lui redemande où est-ce qu'il est né pour être sûr qu'il ait bien saisi ma question. Il me raconte qu'il revient du Kansas où sa mère vit et est en train de mourir. Il y est allé en bagnole naturellement, et cette dernière et tombée en panne, ici à Bullhead City. Dix jours bloqué à vivre sur un parking, harcelé par la sécurité et la police locale. Vacherie parce que l'homme n'a pas une thune devant lui et survit de petit boulot en petit boulot, dort dans sa bagnole depuis son divorce et se trouve bien emmerdé parce que tout mécano qu'il est, il va devoir faire rapatrier sa caisse à LA pour la réparer. L'homme n'a plus que vingt dollars, il est monté dans la car, m'a souri car je l'ai complimenté sur son chapeau de cowboy sur lequel il a fixé une petite peluche qui tient je-ne-sais-comment. Il me demande alors comment on fait pour régler son titre de transport et m'explique son histoire, je lui dis de ne pas s’en faire pour le billet, la compagnie prendra sur elle, puis lui demande ce qu'il va faire à Vegas, mais lui me répond qu'il va à Los Angeles, alors c'est un autre bus qu'il devra prendre et par curiosité je consulte les tarifs : pas moins de 36$ à débourser pour espérer rentrer à LA. L'homme est dépité. Dans mon for intérieur, je me questionne, quel genre d'homme est-ce pour penser rentrer de si loin avec seulement 20 balles ? La réponse est assez touchante. Alors que je pensais à ça, je me rendais compte que certaines personnes sont proprement ingénues, n'ont aucune notion du voyage, de la débrouille ou de ce qu'il peut en coûter. Comme notre homme est dépité, je lui suggère deux autres solutions : faire du stop ou sauter dans un train pour Los Angeles, au pire il prendra une amende mais il rentrera. L'homme n'en revient pas. Il est soufflé. Faire du stop, ça alors, ça c'est quelque chose ! Bon je lui suggère ça même si ça a jamais marché pour moi ici, mais peut-être que pour lui... L'homme me remercie déjà mille fois et en vient même à dire que c'est Dieu qui m'a mis sur sa route, que peut-être ça a quelque chose à faire avec cette voiture, qu'il doit l'abandonner et faire du stop pour aller où le vent soufflera. Et une fois rentré à Los Angeles ? Il demandera à sa fille s'il peut dormir chez elle, sinon ce sera la rue, se résout-il sans façon. Cette fois c'est moi qui suis soufflé. L'homme que j'ai en face de moi connait visiblement le sujet pour en parler de manière si neutre. Quand je revois mentalement le genre d'individus qui traine dans les rues des grandes villes, je ne donne pas cher de sa peau et espère qu'il n'est pas déjà un des leurs, intoxiqué d'une manière ou d'une autre. J'ai du mal à l'expliquer mais ce mec en détresse et pourtant pas du tout paniqué m'a touché. Il acceptait tout ce qui lui arrivait, peut-être parce que Dieu était derrière tout ça. J'aurais pu lui payer son billet pour LA, j'aurais pu tirer de mon porte-feuille un autre 20$ pour l'ajouter à sa collection famélique, j'avais un peu de pouvoir à ce moment. L'important ce ne sont pas les sommes, mais ce qu'on fait de son argent. J'ai demandé à ce type s'il aimait le beurre de cacahuète et je lui ai tartiné mes deux derniers pains que je gardais pour le petit déjeuner, supplément confiture, comme en raffolent les kids américains. Lorsque le bus est arrivé à Vegas, il faisait entre chien et loup, le gars a enfilé son cuir, avec un curieux dessin au marker blanc dans son dos. Un symbole qui m'évoque à moi la pochette du live des Black Crowes et Jimmy Page, et quand je le questionne, il me répond qu'il n'est pas bon en dessin mais que c'est le Saint Esprit, en mimant un oiseau de ses deux mains. Sur son sac, il a cousu un drapeau américain parce qu'il doit continuer à aimer ce drapeau, qu'on apprend à respecter, vénérer et honorer depuis l'école. LA est pour lui la plus belle ville du monde, même depuis sa voiture. Le temps de me remercier une ultime fois et de battre des paupières, l'homme a disparu et j'ai oublié son prénom.

ALEXIS BABA ET LA CITE DES VOLEURS

Pour me rendre à l'auberge de jeunesse que j'ai réservée, je dois remonter le fameux boulevard que nous avons tous à l'esprit, le Strip regroupe les plus grands complexes hôteliers et casinos que vous pourriez imaginer. L'aéroport est sur ma route, l'atterrissage d'un de ces engins me surprend, collé à la ville et aux premiers domaines de la MGM (qui possède une dizaine de ces établissements dont la pyramide du Louxor que j'aperçois déjà, l'hôtel Excalibur en forme de château fort ou encore le Mandala Bay), chaque complexe s'est choisi un thème et tous font office de décor pour un bloc (vous avez un bloc New York, un bloc Paris, un bloc Venise etc). Ce qui est vraiment fou c'est la taille de ces trucs. Moi qui travaille dans un petit hôtel indépendant de 42 chambres (qui n'appartient pas à une grosse chaine style Four Seasons, Hilton et autres), je n'ose même pas imaginer le nombre de chambres de ces immenses buildings. Plusieurs centaines au bas mot. Remonter le Strip c'est donc être aux pieds de ces hôtels déjà vus dans les films (le Caesar's Palace, le Bellagio, je pense au film Casino de Scorcese ou Ocean's Eleven) et voir tous leurs néons clignoter de mille feux, frayer avec les foules de touristes qui affluent et font leur shopping dans les maisons de mode cocorico représentées en plusieurs exemplaires (chacun des plus gros hôtels possèdent également son propre centre-commercial de luxe intérieur) et puis passé le Strat, dernier exemplaire de cette famille lumineuse, c'est une autre ville qui s'étend. Les hôtels deviennent motels. Les casinos laissent la place aux chapelles où se marier. Et les centre-commerciaux se sont mutés en strip club. Il y a une certaine forme de continuité mine de rien. Maintenant, je ne vais pas y aller par plusieurs chemins : Las Vegas est tout simplement horrible. Cet antre du jeu créée ex-nihilo en plein désert devient ce qu'elle est à partir des années 30 et grâce à sa législation ouverte aux paris et jeux d'argent ainsi qu'à la prostitution alors que la prohibition vient de finir. L'argent liquide (des jeux mais aussi de la vente de tise pendant la période sus-nommée) et l'attention mafieux ne tardent pas à financer les premiers domaines dédiés au lucre et ce qui était un petit village marécageux mormon se renomme alors la « ville sans horloge » car dans les casinos, on ne doit pas voir le temps passer. La population change aussi au fur et à mesure que vous remontez le Strip. Les touristes laissent la place à des SDF désespérés et gueulant leur folie à la face du monde. Les déchets s'accumulent et les friches où dorment ces miséreux ont remplacé les hôtels de luxe. Le contraste est choquant bien sûr car à 500 mètres de là, vous avez quelques unes des chambres les plus chères du monde, et sur le trottoir, ces êtres voués à disparaître dans un autre vice que le jeu, celui-là même qui draine ces masses de touristes à la ville. Une fois cette vision claire, bienvenue dans Las Vegas Parano. La réalité prend un aspect horrifique qui devient carrément anxiogène si vous avez le malheur de pousser jusque Fremont Street, deuxième antre mythique, au cœur de la vieille ville. Fremont Street, c'est ce que vous pouvez voir de pire sur le Strip, mais en pire. Je m'explique, sur le Strip, de la même manière qu'à la Nouvelle Orléans vous aviez une cour des miracles avec des clodos et des charlatans qui se démenaient pour tirer un sou des poches du touriste, à Vegas, ces mêmes perdus se mettent en quatre pour attirer l'attention du touriste et la compassion du petit sou qu'ils auront mérité parce qu'ils sont costumés en super héros américain, parce qu'ils chantent, parce qu'ils font chanter leur gamin (!), parce qu'ils sont à moitié nus en train de faire de la pub pour un casino ou un club etc. À Fremont Street, la rue est parsemée de petites zones peintes au sol dans lesquels ces malheureux peuvent performer : j'ai ainsi vu une cul-de-jatte danser à même le sol, des hommes tresser des fleurs à base des palmes de palmier des environs ou encore ce type qui m'a scotché car il brandissait une pancarte « tip me if you gf is hot » (donnez-moi un sou si votre copine est belle ». Tout ça au milieu de chimpendales bodybuildés autour desquels vous pouvez vous faire prendre en photo, de magiciens à la manque, de DJettes en très petite tenue, montreurs de serpent et de vendeurs ambulants, chacun faisant marcher sa sono pour être mieux entendu que le voisin, dans une rue clôturée par un dôme et parsemée de plusieurs scènes où vous écouterez les hits déjà sirupeux de Beyoncé ou Rihanna remixés de manière douteuse. Quand je vous disais qu'on étouffe.

Alors j'ai cherché à m'extraire de ça, j'ai poussé la trottinette jusqu'à une extrémité de la ville (où on peut multiplier les clodos en dérive sans retour possible par 5), je suis allé dans un petit musée que je connais depuis longtemps et qui sur le papier promet : le musée des enseignes néon de Las Vegas. 20$ l'entrée pour un tour d'une quinzaine de minutes (grand maximum !) dans ces allées où végètent ces panneaux typiques et décolorés. Rien à sauver de ces contrées malheureusement.

Vegas cristallise ce que l'Amérique fait de plus détestable, de plus immonde. Ce gap entre extrême richesse et extrême pauvreté n'a jamais été aussi tangible qu'ici, parce que la ville est un mirage d’Eldorado en plein désert, une aberration. Les casinos sont faits de manière à ce que le gogo puisse y passer sa vie : variété de restaurants, remises de toute sorte sur ses gains/pertes, shopping. Outre ça, c’est l’évolution de la machine qui m’a surpris, je m’explique : je cherchais un coin avec des vieilles machines à sou, un peu vintage, pour voir une salle avec un peu plus de charme que tous ces écrans chamarrés, mais les casinos ont bien saisi une évolution prouvée par les scientifiques et les neurosciences (notamment utilisées dans le développement des applications mobiles et des réseaux sociaux), à savoir que tout ce qui clignote, fait du bruit, est coloré, toutes ces stratégies attirent et captent l’attention d’un joueur que le jeu ne récompense jamais à la mesure de ce qu’il perd. Je me demandais un matin quel genre d'individu peut prendre son pied ici, à miser, perdre ou gagner quelques sous (Le casino gagne toujours, souvenez-vous) et la réponse m'est venue depuis l'auberge de jeunesse où un groupe de jeunes anglais (des militaires, si ça peut aider à les cerner) rentraient à 4h du matin, rincés comme on peut se le figurer, fiers d'avoir perdu mille balles aux jeux et allant s'endormir dans un lit superposé à 50$. Ou alors cet entrepreneur d'origine mexicaine de LA, qui amenait ses parents quelques jours à Vegas, pour leur montrer ce que c’était en somme, séjour tout compris depuis un bel hôtel et compagnie. Le père était très heureux d'aller jouer et je ne pouvais m'empêcher de penser que cet argent mexicain n'avait rien à faire à Vegas, autant qu'il aille le jouer au Mexique, peut-être serait-ce moins pire m'illusionnais-je une fois de plus. Mais peut-être que c’est aussi un bout de réponse que de jouer sa chance à Vegas, une petite poussière du rêve américain. Comme le dirait une publicité : 100% des gagnants ont un jour tenté leur chance. Bref, voilà le topo, et il est pas bien reluisant. Allez au Grand Canyon si vous devez aller quelque part mais évitez Vegas si vous ne projetez pas un cambriolage de grande envergure.

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