Palette de Palerme (3/4)

Orgosolo (Sardaigne, juin 22)

40/

Malgré la météo capricieuse, je m'enfonce dans les derniers recoins de Palerme que je n'ai pas visité. Ma folie m'emporte jusqu'à l'autre cimetière de Palerme, le cimetero di Sant'Orsola, situé juste à côté du grand hôpital. La première chose qu'il faut noter, c'est qu'il est dans la ville, même s'il en délimite une bordure par le passage en son contrebas de l'Oreto, le petit affluent local, et non comme le premier visité (Santa Maria di Rotoli situé au bout du bout de la ville, à pas moins de 45/60 minutes de marche depuis le centre). La seconde c'est qu'il est privé, qu'il n'est donc pas géré par la commune de Palerme, et donc payant pour y séjourner (enfin, bien plus payant et cher qu'une place de macchabée patientant sous une tente depuis un an, parce qu'il reste un peu de place ici). Et la dernière c'est qu'en bon voisin de l'hosto, un concert continu de sirènes retentit tout du long de votre visite. Bon visiblement, personne ne s'en est plaint ici...

Dans le plus pur style monumental des cimetières italiens, on a affaire à un lieu propre, compact (assez peu d'espace pour circuler entre les tombes si c'est possible), avec des caveaux plus reluisants et spacieux que nombre de bicoques des quartiers Ballaro ou Borgo Vecchio, et en son centre une église (Chiesa di Santo Spirito, unique vestige d'un monastère du XIIème siècle) à rattacher au patrimoine arabo-normand du Duché déjà cité dans notre second volume. Pas de bol pour moi, c'était fermé. Je continue ma ballade entre ces pierres tombales tout en reconnaissant le soin apporté par les familles à l'entretien de ces dernières, très souvent fraîchement fleuries (ce qui n'est pas tant le cas chez nous, hors fêtes de la Toussaint), et pensant tout de même – non sans amertume – à tout le blé que les italiens envoient vers leurs morts plutôt qu'aux vivants. Voyant ces caveaux majestueux, je ne peux pas m'empêcher de penser à leur coût exorbitant et à leur ruine inéluctable, à eux aussi. Les marbres se fissurent, les statues se cassent la gueule. Faut-il vraiment contrer cette marche du temps ? Je me dis que je serais mieux moi, à la fraîche dans un bout de terre, et fi des quatre planches de contre-plaqué, les arbres ne m'ont rien fait. Du haut d'un belvédère donnant sur l'Oreto et les monts qui cachent Palerme du reste de l'île, moi et mes morts de luxe contemplons une poignée de cabanes de tôle d'infortunés en essuyant tous ensemble quelques nouvelles gouttes de pluie.

Ouais, c'est un joli paysage que vous avez là les gars, dommage qu'il faille encore se lever pour le voir.

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Pour arroser leurs soirées, les jeunes préfèrent voguer de bar en bar plutôt que de s'ancrer à une terrasse pour de bon. À l'instar de nos fêtes de la musique, une longue errance recommence hebdomadairement pour eux entre chaque stand de rafraichissement. Je note également qu'ils se donnent généralement rendez-vous assez tard dans la soirée (rarement avant 19, 20 ou 21 heures, puisque c'est encore le temps du diner) tandis que les derniers bars ferment pour de bon à 2h et qu'il ne reste alors que des vendeurs ambulants ou autres bouibouis pour vous servir des cocktails amateurs, au dosage réduit et au prix incertain (ou l'inverse je sais plus), derrière leurs comptoirs à sucreries. Du côté de Vucciria, on peut constater dès 21h la mise en place de stands pirates vous proposant des gobelets de votre jus préféré à 3 euros sur fond de bouillie sonore. Une grosse dizaine d'installation joue les marchands du temple et arrose ainsi la viande saoule palermitaine.

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Un peu avant noël, on a trouvé malin d'insérer un nouveau saint dans le calendrier, le Black Friday. C'est chaque année une journée tant attendue par le commerce. Je me rappelle encore aux infos les images de files de gens qui se bousculent, se marchent dessus, comme au premier jours des soldes, finalement la recette a bien pris. Aujourd'hui, en me baladant dans les artères commerçantes, je repensais au fait qu'on voyait il y a quelques années encore de l'audacieux black friday un jour avant, puis un jour après, un samedi étant plus commode pour chiffrer des prolongations ou organiser une séance de rattrapage pour ceux qui avaient vu leur jour de congé leur filer sous le nez ; maintenant, mais pourquoi m'étonner ? je trouve du black week placardé à la vitrine, et même du black month ! je vous assure.

Que mes amis consommateurs se rassurent, moi aussi je vais célébrer la fête, mais à ma manière, sans donner un sou au Capital.

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Ils ont finalement choisi une journée. Je l'ai vu pour ma part, collée sur un mur, cette affiche plutôt bien foutue et claire, 9h00, piazza Verdi, voilà c'est là qu'on aura rendez-vous pour manifester. Pendant mon séjour à Palerme, je n'allais tout de même pas passer à côté de l'occasion de voir un peu de mouvement social italien ! J'arrive un peu à la bourre, je me permets certes, parce que je suppose que je sais depuis le temps, le nombre de manifs que je me suis farci, qu'elles ne partent jamais à l'heure et j'arrive un peu à la bourre : la piazza Verdi est vidée. Bon. Je mets pas longtemps à rattraper les retardataires ou croiser les fuyards, et je me rends rapidement compte que la manif du jour sera très jeune – ce que je n'avais pas compris – ce sont des lycéens en colère. Chez nous ils bloquent leurs lycées et se font gazer par les schmidts, ici, ils sont plutôt du genre à manifester, en fanfare oui, mais pacifiquement. La police encadre un peu grossièrement le truc, ça crie, ça scande, ça met Rage Against the Machine, classique quoi, mais ça me fait tout de même chaud au cœur de voir ces p'tiots engagés, antimafia, antifascistes, contre une école publique méritocratique ou ploutocratique, contre la politique menée ou désirée d'une certaine Giorgia Meloni qu'on invite à plusieurs reprises à « vafanculo », je ne sais pas ce que ça peut bien vouloir dire...

Tout se passe comme sur des roulettes, via Maqueda le quidam s'arrête pour un selfie rapide quand tout à coup, un peu plus en avant, je repère un autre attroupement qui brandit cette fois des drapeaux siciliens. Je questionne, et c'est une autre manifestation qu'on me répond, merci, j'vois bien. J'y débaroule et quelle ne fut pas ma surprise de voir de mêmes jeunes (cette fois sans sono mais tambours battants), eux aussi encadrés de flics en civil, avec des slogans et pancartes du même ACABit, mais prenant un chemin différent. Alors là j(e m)'interroge ! Même manifestation, même revendications, mais organisation différente, alors chemin différent, qu'on m'dit. J'ose avancer à mon interlocuteur : « mais ça serait-y pas mieux de vous regrouper tous ensemble pour donner plus de force à votre mobilisation ? ». La réponse n'est ni claire ni vaillante, il me dit même qu'il y en a une troisième à quelques rues, et quand j'en touche deux mots à mon contact local Alice, elle me répond que globalement en Italie, c'est toujours comme ça, un peu désespérant, bien loin d'une convergence des luttes ou du zbeul à la française (bon anniversaire les GJ, c'était la semaine dernière), bref voilà un exemple de classe à l'italienne.

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Plus encore que les lieux de cultes, dans toute la ville vous pourrez trouver au mur des micros chapelles, avec des portraits de Saint ou du Sauveur et de sa famille. Il n'est pas rare qu'on s'y arrête ou qu'on se signe au passage, comme devant les lieux sacrés de la ville (j'ai carrément vu des mecs à scooter le faire, 'doivent pas souvent avoir la main droite sur le guidon ceux là) ou d'y trouver une petite fente de la taille d'une grosse pièce pour y glisser ses offrandes, un peu comme le tronc de l'église, mais disséminé à tous les coins du rue de la ville quoi.

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Ma passion pour la mort n'a que peu de limites mais en voilà une : être trempé comme une soupe quand vous vous rendez à l'autre bout de la ville.

Nous sommes mardi, entre deux averses, sous un soleil passager je sors en direction des Catacombi di Cappucini (catacombes des capucins, voyez comme c'est beau l'italien). J'attends pas bien longtemps (mais assez tout de même pour me dire, putain Alexis Vassili Sacha DAWSON ! tu vas pas rester toute la journée au lit à t'branler les couilles ! tu vas sortir faire un truc constructif quoi ! c'est pas cette pluie du Nord-Pas-de-Calais que t'as bravé tant de fois qui va t'en empêcher merde !) pour recevoir mes premières saucées, qu'importe, les impers Patagonia Gore-Tex c'est pas designé pour les chiens, je trace ma route. À partir d'un certain moment, c'est niveau pieds que ça éponge plus bien. Tu marches floc floc, le froid s'installe, le désagréable commence à te saper le moral. Enfin t'arrives au lieu-dit, boom, fermé ! C'est la pause dodo de l'après-midi, il est 13h et ça réouvre à 15. Là c'est le plombage, t'as l'air bien con, mais version con mouillé trop loin de chez lui, et t'es déjà bien trempé quand une nouvelle averse te retombe sur le coin du nez. J'me réfugie dans le cimetière voisin, tout petit, charmant sous cette pluie et l'heure passe lentement. Je me dis qu'au point où j'en suis, sans doute déjà malade (étant au fait de ma constitution de type « fragile, ne pas toucher »), je ne vais pas patienter plus longtemps et rentrer dans mes pénates (au moins essayer de dégorger et faire sécher celles qui font floc floc quoi) et là, torrent, que dis-je, c'est un raz, c'est une péninsule qui s'abat sur Palerme ! Des flux d'eau massifs dévalent les caniveaux, engloutissent la chaussée, les plaques d'égout sont dégondées sous la pression et dégueulent leur trop-plein de pluie. Dans la longue via di Cappucini, en à peine 20 minutes de précipitations, c'est globalement la merde ! De la flotte jusqu'à la cheville au mieux, jusque mi-mollet dans les pires portions ! Pas de radeau de la Méduse, on plaisante avec le camarade qui va dans la même direction mais c'est chacun pour soi ! Forcément, votre serviteur n'y coupe pas, ses Nike React ALL CONDITIONS GEAR floc floc édition limitée lui servent plus à grand chose à ce compte-là et il décide de jouer le tout pour le tout, mouillé pour trempé, il taille le tout-droit qu'importe la profondeur des bassins qui se présenteront sur son chemin. Résultat après une traversée d'une piscine olympique ? Disons qu'au lendemain des événements, la nouvelle odeur des chaussures aura drastiquement écourté leur durée de vie et que dorénavant à la moindre goutte de flotte, les Nike... floc floc.

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Mais ma passion pour la mort n'a que peu de limites quand même ! Et c'est pas une inondation de 5 à 10cm (une dame de la rue m'a dit que ça arrivait souvent, très précisément ici) qui va m'arrêter ! Alors je me repointe le lendemain, bien déterminé à rebraver les gouttes, avec mes Nike encore fraîches et déjà puantes, ma Pata Gore-Tex prête à essuyer un second round (dont je suis pas ravi ravi même si bon, elle fait le taf), mais cette fois aux bonnes heures, et j'entre ainsi dans les Catacombes lésé de la modique somme de 3 balles.

Mais que sont ces mystérieuses catacombes me demandez-vous ?

Il faut remonter au XVIIème siècle (et à internet accessoirement, car aucune explication n'est disponible physiquement sur place) pour qu'un manque de place du cimetière voisin donne aux moines du monastère de l'ordre capucin l'idée de creuser des cryptes où enterrer les leurs. D'abord laissés déshydratés dans un endroit spécial, les corps étaient badigeonnés de vinaigre et hop, sous vitrine en modèle d'expo ! Bientôt le bruit court en ville qu'un nouveau type d'inhumation est dispo, les aristocrates font des pieds et des mains, mais c'est surtout les cordons de leur bourse qui vont leur permettre d'accéder au lieu saint une fois l'âme rendue, car nos moines n'étaient pas contre un don généreux en échange d'une auguste compagnie à leurs défunts. Ainsi, bourgeois et notables furent stockés, embaumés, habillés, déshabillés puis rhabillés à diverses occasions tandis que pour continuer à être visible par leurs vivants, le blé des familles devait se montrer régulier. C'est jusqu'au début du XXème siècle qu'on ajoute au Pokédex près de 3000 convertis, entassés dans ces couloirs lugubres. Cité par Maupassant dans ses pages siciliennes, on constate malheureusement une lente dégradation de l'état général de conservation des corps dû (non pas au réchauffement climatique, quoique il doit bien y être pour kekchoz ce salopard ?) à ces chiures de touristes qui dégagent du dioxyde de carbone (sans honte en plus).

Les momies sont rangées sous plusieurs étiquettes : hommes, femmes, enfants, prêtres, vierges, professionnels, (bizarrement ces 4 derniers mots accolés me mettent mal à l’aise) mais globalement le résultat est toujours le même, qu'on se le dise, il n'y a aucun tiercé gagnant pour ne pas pourrir, désolé.

En revanche, si la plupart des tenues, elles, sont en bonne forme et que les souliers brillent encore, quelques exceptions subsistent et montrent un état de conservation quand même étonnant pour des cadavres vieux de plus de 150 ans (la majorité date de la seconde moitié du XIXème), mais conservent jusqu'à pilosité ou peau. Que dire de plus de ces couloirs si ce n'est qu'il y règne une atmosphère mi-opprimante mi-clownesque tant on a du mal à croire à la véracité (point d'odeur désagréable je dois le noter) des sacs d'os qui défilent sous nos yeux. Ça et là, une mâchoire se décroche à votre passage (ouais j'suis plutôt beau gosse), mais globalement les zombies se tiennent bien les côtes, sachant ce qui nous attend. J'ai eu peur à un moment que dans ces galeries façon train fantôme un amigo* pose la patte sur mon épaule et me demande une dernière clope, mais non, sans fantaisie, je suis ressorti indemne de ce lieu de trépas, non sans me renseigner sur le prix des places au frais. En tout cas les photos étaient interdites, mais je vous en partage une quand même : pas vu pas pris.

*bien entendu, amigo est espinguoin, mais je me voyais pas écrire amiCo pour sonner local, allez savoir

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Les italiens n'ont vraisemblablement pas encore accès au kit mains libres. Je ne sais pas si c'est une question de volonté, de pouvoir d'achat ou s'il s'agit d'un nouvel élément culturel, mais ils téléphonent tous, font des visios ou écoutent des vocaux (Whatsapp à la cote ici) en mode haut parleur.

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Hormis une micro supérette où on m'a demandé ce soir de laisser mon cabas Lidl plein de linge mouillé à la caisse, dans aucun magasin ni supermarché on ne fait attention à vos sacs et personne ne vérifie leur contenu.
Comme le dit l’adage : “c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres”.

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La circulation est toujours dense à Palerme. Je vous avais parlé du bordel que c'était, du bruit. Je me permets d'ajouter qu'ici on klaxonne pour à peu près toutes les raisons : saluer un passant, prévenir qu'on veut passer, qu'on va passer, qu'on est pas content mais qu'on vient de passer, qu'il faut avancer parce que le feu est rouge, qu'il faut avancer parce que le feu est vert, réclamer l'attention d'un passant qui a le malheur de vouloir traverser parce que dans la chaine alimentaire la pétrolette mange le piéton, etc.

Il n'est pas rare aussi que les conducteurs de deux roues ne portent pas de casque. Il n'est pas non plus rare de les voir aller chercher à la sortie de l'école leur progéniture à scoot, et de rentrer tous ensemble, à deux ou trois juchés sur l'engin, de concert, sans casque et klaxonnant. Voilà comment c'est ici.

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Les marchands de fruits et légumes proposent également de grandes marmites avec des pommes de terre déjà cuites ou d'autres verdures bouillies. Plus rarement, certains ont même des poivrons cuits ou des aubergines grillées dans des bacs alimentaires.

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La carte de la ville est ponctuée de villas. Un bon tiers est privée, un autre en réfaction mais le dernier peut se visiter comme la Villa Malfitano ou juste à côté, gratuit, le Villino Florio. Après une visite de cette baraque cossue aux décorations de style art-déco, j'y rencontre Vicenzo, gardien du temple en repos ce jour, mais passé venir nourrir les chats errants du domaine.

Bientôt la soixantaine, cela fait 6 ans qu'il travaille ici, 6 ans qu'il achète de la croquette de luxe (Purina quand même) et de la pâté pour la dizaine de félins qui erre dans les jardins de la propriété et dont il peut retracer la généalogie. « Au lieu de ça, j'aurais p'tete pu m'acheter une belle Audi » rigole-t-il. Nous échangeons un peu puis parlons de politique. Il s'affiche du centre-droit, conspue aussi bien Berlusconi et Draghi qu'ils traitent comme des émissaires des grands capitaux, que la gauche qui n'a rien branlé en dix années de pouvoir si ce n'est vendre le pays aux puissances étrangères. Macron ? Un délinquant à la botte d'une autre banque que Draghi chez GP Morgan, et qui a fermé les frontières avec l'Italie aux migrants, au vu et su de toute l'Europe ! Giorgia Meloni ? C'est pas si pire, car Vicenzo croit qu'elle s'est faite toute seule et n'a qu'en seule ligne de mire le bien-être et la défense du peuple italien. Pendant que nous parlons les minous rôdent et cherchent à rentrer dans l'imposante baraque dont Vicenzo garde l'entrée. Je les vois tenter inlassablement le coup et je ne peux m'empêcher de penser à ce qui passe en mer, aux politiques menées par l'Europe et au sort de ceux qui arrivent en Italie dans ces camps. Avec ce sicilien nous parlons de l'accueil chaleureux qu'on réserve sur l'île, de la préoccupation d'autrui, disparue plus au nord, et je le vois avec ses p'tits chats et je me dis que ce Vicenzo a forcément l'air d'un brave type. Un homme qui déplore que l'argent aie tout corrompu et ayant préféré des p'tits chats à une Audi ne pourrait pas être un mauvais zig après tout.

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Malheureusement pour vous, la saga hippique, et pas moins épique, n'est pas terminée !

Je marchais tranquillement sur le bord de mer ce jour, profitant de ce qui pourrait se profiler être les deux derniers jours de soleil de mon séjour ici (il en reste dix, je le vis bien #sueur #pasdutout), quand tout à trac, arrivant dans des contrées inconnues de moi, je vois passer un mec portant un sceau dans chaque pogne et conduisant son cheval sur un chemin de type caillouteux en direction de la mer. Je pense à vous et mon enquête en un éclair, ni une ni merde, je m'enfonce à sa suite tandis qu'il se sait suivi et jette quelques coups d'oeil soupçonneux derrière son épaule. Peut-être me ferais-je découper en dès et jeter dans la mangeoire, qu'importe, sur le chemin où nous sommes engagés, il est déjà trop tard.

Giuseppe 1 (en fait, ils sont deux Giuseppe, donc je vais leur donner chacun un numéro pour s'y retrouver) est chauffeur de camion, il travaille pour des hôtels et des palaces, à droite à gauche. La quarantaine entamée, sympathique et pas avare en information, il me raconte que dans sa famille, le cheval est une tradition. Son grand-père était chauffeur lui-aussi, mais de calèche, et il transportait lui aussi des trucs dans tout Palerme. Le soir, il partageait avec sa famille la stalle, avec d'un côté le bidet, et de l'autre la smala : le cheval était au moins la moitié de sa vie mais l'histoire ne dit pas dans quelle partie de l'écurie il dormait. Retour en 2022, Giuseppe 1 me montre du doigt ses quelques montures, trois ou quatre, la dernière lui a coûté 9000 euros. Ce qu'il en fait ? Eh bien des courses pardi ! Des courses de trot plus précisément. Chaque semaine, à Syracuse ou à l'hippodrome de Palerme, diffusé dans tous les PMU d'Italie, il peut faire courir ses bêtes pour tenter de remporter 1000 à 3000€ mais si elles arrivent en tête seulement. Il me montre les pouliches qui devront faire de l'exercice samedi, ici même, et après leur avoir donné des médocs mélangés à de la bouffe (qu'il m'assure ne pas être du dopage), je me tourne alors vers Giuseppe 2.

Même tranche d'âge, Giuseppe 2 est conducteur de calèche mais en 2022, pour des touristes cette fois. Il a deux canassons qu'il peut faire courir. Une fois par semaine, par quinzaine, par mois, ça dépend des courses. Pour l'entraînement, ils font appel à un gars qui est un peu leur salarié. Il s'occupe toute la journée des chevaux, les nourrit, les peigne, les sort de leurs enclos et les font courir. Pour ça, plusieurs techniques on l'a vu, le coup du vélo dans Borgo Vecchio, ou un attelage adapté au bitume avec des roues pneumatiques qu'on fait circuler entre les gaz d'échappement. Quand je leur demande tous les deux si ce n'est pas un peu un travail, ils me répondent que non, c'est leur passion, qu'ils l'ont dans le sang, un petit plus qui peut rapporter gros.

Je les remercie de leur temps et je quitte ces chevaux qui paissent docilement face au golfo di Palermo.

53/

Petite parenthèse scatologique car je n'ai pas l'impression d'avoir vu beaucoup de toilettes publiques dans la ville. En revanche, à moult reprises des déjections non-canines et des papiers souillés ont pu être constatés sur la voie publique. Faut-il en incomber au régime alimentaire de ces personnes ou à l'absence d'infrastructure pour endiguer ces besoins aussi soudains que sauvages ? Toujours est-il que je me dois de décerner une palme, pardonnez ma trivialité, mais qu'elle ne fut pas ma stupéfaction quand dans un des fameux cimetières que j'ai pu visiter, grimpant au sommet des trois étages qui composaient ce genre de building où on entasse comme dans des clapiers cercueils et urnes, profitant de la vue dégagée sur le balcon massif qui faisait le tour du bâtiment, m'attendait dans un coin un énorme étron qui m'a, je dois l'avouer, bienfait rire, imaginant non sans plaisir son origine et les circonstances de sa venue au monde en plein milieu de ce lieu sacré.

Après vérification à la sortie, les photos étaient bien interdites dans le cimetière en question, mais nulle trace en revanche d'une interdiction de déféquer dans un coin tranquille.

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J'ai découvert deux nouveaux mercati à ajouter à la liste dressée dans le second chapitre (point numéro 24) :

  • à main droite, à quelques minutes à peine sous la cathédrale, le mercato delle Pulci se tient tous les jours. Il a lieu chaque jour, et consiste en une série de petites cabanes de tôle qui peuvent rappeler certains coins des Puces de Saint Ouen. Pas vraiment un marché, on y trouve des antiquaires (le quartier et son Corso Amadeo en comptent d'autres) et l'habituel fourbis que la profession essaye de refourguer à des tarifs pas toujours catholiques. Il n'empêche que certaines cabanes sont construites autour d'immenses arbres et juste pour ça l'endroit mérite une petite visite.

  • à main gauche et à l'extrême opposé du ring, très excentré, quasi en direction de Mondello, la Viale Campania accueille elle aussi un marché le mercredi matin. Rien de folichon à signaler si ce n'est la tonne et demie de fringues, bas, lingerie vendues et d'une qualité douteuse au milieu de quelques stands alimentaires classiques. L'ensemble m'évoque un triste marché très français, y'a rien à voir, circulez.

55/

Sur les coups des onze heures, et ce jusqu'au début de l'après-midi, vous pouvez sentir les petits plats mariner sur le feu. Si la plupart des travailleurs qui ne rentrent pas a casa se contentent d'un panino garni, les chanceux ont droit à des pâtes, des sauces et des plats qui sentent drôlement bons, même du dehors. Ces odeurs se mélangent au linge propre qui sèche et pendouille aux balcons individuels tout du long de la rue et crée cet étonnant décalage de propre/pas propre (l'intérieur des maisons/la rue).

56/

Je me dois de présenter un hommage à ma professeure privée d'italien qui a officié pendant moins d'un an, en 2009, et redressé le mauvais cap pris par l'élève Dawson Alexis. Pour l'histoire et l'édification des masses, l'élève en question suivait les cours de langue de néerlandais depuis son enfance. Un déménagement impromptu a rendu cet enseignement impossible, même par correspondance, à deux ans du fatidique bac. Inscrit d'office aux cours d'italien, il devait passer l'épreuve en ayant rattrapé le niveau de ses camarades, point sur lequel il a renâclé puisqu'en terminale littéraire, sa moyenne au premier trimestre devait toujours avoisiner le zéro pointé. Ici – grâce à l'intervention insistante du père – entre en jeu la professeure et un séjour de deux semaines, parachuté à Florence, cours de langue le matin et longueurs de temps l'après-midi. Fin des débats à l'assemblée : le fils prodigue eut 16 à l'écrit.

Maria Villano, l'amour de votre pays, vous me l'avez bien transmis et si je capte au moins un mot sur deux aujourd'hui, c'est grâce à vous, soyez bénie !

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Avec les décorations de noël, ces jours-ci la place Ruggero Settimo subit elle-aussi un lifting majeur puisqu'elle va sans doute accueillir attractions et marché pour mon plus grand bonheur. Depuis une semaine déjà, tandis que nous sommes à un mois jour pour jour de l'événement, vous pouvez vous procurer l'essentiel de l'attirail pour décorer votre foyer et accueillir dignement la nouvelle. Ailleurs en ville, de petits vendeurs, qui se sont multipliés comme les pains, vous proposeront sur leurs étals d'assembler votre crèche avec de nombreuses pièces à disposition, et les italiens en sont friands. Si vous vouliez ajouter un âne shiny ou une Marie peinturlurée d'or à votre étable, c'est par là que vous devriez fouiner.

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Sous un temps magnifique, je me réattèle à l'ascension du Monte Pellegrino auquel j'avais rendu une visite rapide en début de séjour, intrigué par ses points de vue. Même besogne qu'au premier rendez-vous, il faut dans son premier segment se farcir une trentaine de scale (des escaliers, mais en vérité, plutôt des rampes) qui mènent jusqu'à des paysages bien dégagés de la sortie de Palerme et Mondello ainsi qu'au sanctuaire de Santa Rosalia.

Pas grand monde sur ces routes en cette fin novembre, malgré les nombreux itinéraires de ballade proposés (tous les niveaux, toutes les durées – je le rappelle encore, accessibles depuis la ville je trouve ça fou !), quand j'arrive enfin au lieu culte de la quatrième patronne de la ville. Ancien monastère (XVIIe siècle) adossé directement à la montagne, sa chapelle a pour mur du fond la roche dans laquelle se niche la statue de Rosalia. À la sortie, on peut pousser un kilomètre plus loin, entre les vendeurs de souvenirs pieux et les baraques abandonnées (que j'imagine être d'anciens restaus pour dévots, du temps où le catholicisme avait encore la côte) jusqu'à la statue de Rosalia qui trône sur un belvédère (458m d'altitude) donnant panorama sur Arenella et une idée bien nette de la disposition architecturale du cimetière Santa Maria di Rotoli (ses tombes faisant quasi toutes face à la mer).

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J'ai sans doute tristement assisté à plus d'1/8ème du nombre de jours de pluie annuels sur Palerme. Et ça n'est pas fini.

Photos : Yashica T3 Super / Fuji C200

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