Fragments d’un récit douloureux (1/3)

I

Un souvenir.

Le cri des hirondelles.

Ou une connerie d'autre oiseau. Mais ce doit être une hirondelle.

Le cri du piaf et l'herbe sèche du jardin de mon grand-père qui m'accapare, pendant que lui s'affaire entre ses fraises et ses patates. C'est l'été peut-être, Arras. J'aimais mon grand-père.



II

Hormis de rares villes (Sassari), il est aussi difficile de trouver une poubelle en Sardaigne que :

  • du bon goût dans une collection Desigual

  • une vierge au Bois de Boulogne

  • un resto réunionnais à Berck-sur-Mer disons

En pratique, cela a deux conséquences :

  • vous portez vos déchets un bon bout de chemin jusqu'à la première poubelle que vous trouvez {première bifurcation : on observe différentes tailles et couleurs de conteneurs, marron, jaune, vert, bleu. Pour l'étranger que je suis, aucune de ces couleurs n'a de sens particulier s'il n'y a pas de mot accolé à ce à quoi il doit renvoyer, car ces codes sont susceptibles de changer d'un pays à l'autre. Alors, ouvrant le couvercle de l'une d'entre elles, on remarque rapidement un agrégat de tout type de déchet, ce qui nous conduit à notre seconde bifurcation {{franchement, on pourrait régler un problème temporaire de chomage avec plus de ramassage, y compris dans les zones « sauvages » visitées par les randonneurs (et qui ne sont pas toujours les plus propres) et rendre ces mêmes zones, ainsi que les bords des routes moins dégueulasses qu'ils ne le sont}}}

  • s'il n'a pas la culture de la poubelle accessible, l'italien a celle du déchet dans la nature visiblement, là au moins, il est sûr de ne pas se gourer de conteneur.



III

La Sardaigne est la plus belle région d'Italie.

Et ce n'est pas être chauvin que de dire ceci, c'est être sarde.

Que répondre à la personne qui gentiment s'est arrêtée pour vous prendre en stop et vous affirme ceci ?

Certains coins ne manquent pas de charme, c'est indéniable, mais à moi, l'essemble ne me paraît pas aussi solide que sa voisine corse par exemple. La faute aux distances. L'île est grande en fait. Et certes on y trouve de tout : montagnes, plaines, plages de sable caribéen, falaises, maquis, champs, mais on a pas cet émerveillement que contient la Corse qui réduit en si peu de temps et d'espace des couleurs, des géologies et des natures distinctes.



IV

D'ailleurs, la Sardaigne est-elle vraiment italienne ?

Quand on leur pose la question, les sardes vous répondront qu'ils sont sardes avant tout. Cela me rappelle nos précédents chapitres corses. Les sardes ont leur propre langue (qui n'est pas un dialecte issu de l'italien comme peut l'être le sicilien ou le calabrais) mais une langue romane, donc aux racines latines communes. Sur l'île, on peut également voir des traces des peuples nuragiques (apparus vers l'âge de Bronze, soit vers -1800 av JC), leurs constructions sont toujours visibles un peu partout sur l'île et font la fierté de ses habitants. Ils disparaitront progressivement, s'assimileront, sous les dominations phéniciennes puis carthaginoises, avant passer sous la coupe romaine puis d'être au centre des disputes de tous les empires qui se sont partagés l'Europe. C'est seulement au XVIIIe siècle qu'un Royaume de Sardaigne est déclaré, et au suivant qu'il sera rattaché au Royaume d'Italie, qui sera la base de la république qu'on connait aujourd'hui.



V

Je repense à mon oncle que j'ai sauvé d'une mort certaine en juillet dernier. J'y repense parce que bientôt un an après sa chute, une jambe amputée, il est quasiment certain qu'il ne remarchera plus. J'y pense parce que moi, je viens de sortir de convalescence et que j'ai gardé mes deux pieds et leur usage. J'y pense parce que je ne connais qu'un peu de sa vie mais assez de son désir de mort, et je me demande si dans ces conditions, il n'eut pas préféré que sans un bruit, je ne referme sa porte.



VI

L'eau froide.

Difficile de percer les sardes même si ceux qui se dérident (mes chauffeurs, des vieux ou des curieux dans la rue quand je passe avec mon bardas) se livrent et deviennent très sympathiques, serviables et affables de renseignements sur leur île. Par exemple :

VII

Je descends une artère passante de Sassari. Un vieil italien qui attend son bus m'alpague :

- (en italien bien sûr) d'où tu viens comme ça ?

Je lui dis, et lui me répond qu'il n'a jamais rien vu d'autre que Toulon et son port de la France. Il fouille dans son cabas en osier et en sort une orange qu'il me tend :

- ici c'est connu pour ses oranges, et la tradition, c'est d'en donner aux étrangers

Son bus arrive, j'ai à peine le temps de le remercier et de lui demander son prénom. Je la mange sur un banc antique en face d'une fontaine crachant son eau, à l'ombre de vieux arbres dignes et je remercie en silence ce brave Antonio.


VIII

Cela peut paraître bête mais...


VIII bis

Tout le monde va penser que je suis venu en Italie pour les pizzas, ou la pasta, ou les glaces, ou les filles, ou les paysages, ou le soleil, ou la mer, ou tout un peu réuni comme une sorte de pizza hawaïenne surgelée, mais non, ce qu'il y a de vraiment bien ici, c'est le Pepsi Twist (au citron), même s'il n'est plus si facile de le trouver.


VIII on reprend

Cela peut paraître bête mais c'est en Espagne que j'ai vraiment su que je devais retourner en Italie. J'aime la langue et beaucoup d'autres choses qui sont liées à ce pays mais c'est surtout un appel que j'ai ressenti et respecté en venant ici.

J'ai en tête alors que j'écris ces notes les ruines antiques photographiées par Koudelka et le live à Pompéi des Pink Floyd. Cet appel, je le traduirais comme un besoin de retourner aux origines de nos âges et civilisations. Toucher les pierres, dormir où ont dormi d'autres hommes dans d'autres temps, partager dans une mesure ridiculement moindre leur vie. Un retour à plus d'essentiel en somme. Je me rends compte que leurs pierres sont sous-scellé.

Que leurs villages sont barricadés.

Que leurs tombeaux ont un prix d'entrée.

Et je suis frustré de voir ce qu'a fait la propriété, l'appropriation de notre passé, et en même temps, ne nait-on pas tous déjà héritiers ?

IX

Isola = île

S'isoler. Devenir une île.

X

La photographie me pose trop de problèmes. Je voudrais autant l'arrêter que la continuer, alors j'attends l'accident.

Heureux ou malheureux.


XI

Chaque soir, faire les mêmes gestes. Déplier la toile de tente, gonfler le matelas, se glisser dans les plumes, sortir mon couteau, au cas où.


XII

Confiance et (in)dépendance

On loue souvent le courage qu'il faut pour partir comme je le fais.

Je réponds souvent qu'il n'est pas question de courage mais de volonté. Quand on le veut, quand il le faut, quand on n'a plus le choix, alors les choses deviennent plus simples, évidentes.

Outre la confiance en soi qui se raffermit ou s'ébranle, ce type de voyage est une expérience de transmission. On fait reposer toute sa confiance sur des choix ténus (un lieu pour la nuit, un individu qui peut vous conduire). L'indépendance devient la dépendance. Le savoir de la survie passe de votre main à l'autre qui vous dirige. D'ailleurs, en stop on est toujours dépendant de l'autre pour aller à notre destination. Je pense à Arnaud, aux traités zen et philosophiques égoïstes qu'on pourrait écrire de nos cas. Mais il faut bien rendre ce qu'on nous donne, de la même façon que les chauffeurs d'aujourd'hui sont les autostoppeurs d'hier.

J'aime cette circulation de l'intention, l'histoire qui joue sa musique et ces gens qui changent de chaise.


XIII

Cela va faire une semaine que je suis sur l'île. Je n'ai pas écouté de musique depuis autant de jours.


XIV

Je n'ai pas aimé la façon dont Antonio (conducteur) a répondu à Marina (sa femme).

Est-ce pour autant que j'ai aimé la façon dont je n'ai pas répondu à Margaux ?

Ou celle de Léonie à mon encontre ?

XV

La province d'Oristano est la première sur ma route. Chaque province porte le nom de son chef-lieu. La ville en elle-même n'a pas grand chose d'intéressant. Plus vers la mer, après Cabras, on peut aller à Torre Grande pour se baigner ou préférer faire 15km de plus pour voir les superbes plages de Tharros, ancien port gréco-romain. Comme en Corse, des tours de guet sont visibles à certains endroits des côtes.

Une dame âgée, vivant ici depuis 11 ans m'a décrit ses habitants comme des primitifs. Elle est originaire de l'île de Maddalena, au nord-est de l'île de Sardaigne, et s'appelle naturellement Maddalena. Il faut que je passe par cette île avant de partir.

Une autre chauffeure, espagnole, depuis 10 ans en Italie, m'a dit que le coin était trop calme et sérieux.

Enfin, un couple m'ayant vu à l'aller, m'a pris au retour, ayant eu pitié avant de me mettre en garde qu'ici le stop ne fonctionne pas, que les habitants n'ont pas cette coutume et peur des étrangers depuis le pandémie (apparemment la Sardaigne était la région avec le plus de cas de l'Italie). Mais j'ai quand même réussi et continué ma route, merci aux chauffeurs !



XVI

J'écris depuis des roches où baigne une mer turquoise sur fond d'algues et de coraux. En face, on devine les falaises de l'île de Beauté. Une trentaine de petites poissons volants viennent de sauter hors de l'eau. Je crois bien que c'est la première fois que j'en vois.


XVII

Les hommes pêchent et leurs femmes bronzent et fument.


XVIII

Voler.

Voler est un acte politique. Nécessaire.

Sortir d'une grande enseigne sans voler, c'est probablement s'être fait volé.

Ou empoisonné. Ou les deux, mais en cas de vol, on peut se consoler en imaginant que l'économie pourra éventuellement couvrir des frais médicaux futurs, même si j'en doute.

On essaye, on expérimente. De plus en plus gros, mais toujours des choses utiles. Quelque chose que vous auriez acheté, quoiqu'il arrive. Comme une sorte de carte de fidélité, un produit offert.

XIX

Bosa.

Superbe ville autour d'un large rocher surmonté d'un château médiéval.

Les façades des petites baraques sont peintes comme à Burano (Venise), dans des tons pastels et parfois vifs. Les plantes entretenues par les habitants sont la touche supplémentaire de ce décor magnifique. Véritable labyrinthe, malgré le charme authentique, l'accès par véhicule est quasi impossible pour les locaux, et le nombre de marches à grimper avec ses packs de bière ferait rendre à l'alcoolique sa carte et son foie. Non et puis en plus, toutes les belles petites bicoques ont été rachetées par des étrangers apparemment.

Il y a une version nova de Bosa, avec un port, une plage, à deux bornes, mais ça ne me dit rien qui vaille. Un acquis vaut mieux qu'une nouvelle déception.

PS : j'étais content de revoir des chats des rues.



XX

Il n'y a apparemment pas de sangliers sauvages ici (ma crainte numero uno depuis la Corse où ils pullulent impunément), en revanche il y a des serpents, mais aucun de venimeux (j'en ai un vu l'autre soir, jaune et vert, à 3 mètres, pas bien gros, mais ça fait drôle quand on vient du Nord).


XX bis

Venimeux : serpents et autres bêtes mal intentionnées

Vénéneux : champignons et plantes de merde


XXI

C'est sûrement stupide mais je me donne jusqu'à la fin de mon dentifrice pour rentrer en France.


XXII

Pourquoi des fragments plutôt qu'un récit linéaire ?

  • hommage au Livre de l’Intranquillité, que Cyprien m'a dit avoir commencé (cadeau de bibi)

  • flemme de romancer, mentir ou remplir des journées de farniente

  • rendre plus compte d'idées ou d'impressions que d'essayer de reproduire un portrait fidèle de l'île et de son auteur aux prises

  • ça change

  • c'est p'tete plus agréable à ilre

  • Faulkner a dit « écrire un livre c'est comme construire un poulailler sous une tempête ». Disons que ces fragments sont des briques que je balance et qui tiennent les unes aux autres par équilibre et sans liant.

  • Ça me prépare le terrain de la seconde partie de Disparêtre (à écrire, tout comme la première en fait)

XXIII

Trouver un lieu de résidence pour quelques semaines pour écrire cette nouvelle.

XXIV

Dois-je disparaître à mon tour pour pouvoir l'écrire ?


XXV

La Sardaigne serait l'île du vent (sans vouloir vexer quiconque des archipels grecs). C'est pourtant vrai que c'est la première chose que j'ai remarqué, sur le tarmac, à ma descente de l'avion. Une brise souffle en quasi permanence sur l'île, rendant un peu moins intolérable son soleil inquisiteur.


XXVI

J'adore les cimetières.

En ce moment-même, je mange dans le cimetière de Sassari. J'étais content de trouver un genre de taboulé au boulgour et légumes, mais il se révèle fade. Pour revenir aux cimetières, j'en visite beaucoup, je crois. Au moins, dans chaque pays où je vais. Et je regarde les tombes fleuries, celles en ruines. Je lis les messages des vivants aux morts, et des vivants aux vivants.

On pourrait trouver ça irrespectueux mais je trouve ça bon de se poser, manger et dormir dans un espace si calme, ombragé, à l'abri des autres et de leurs regards. En plus, il y a de l'eau à volonté. C'est bien simple, s'il y avait encore une p'tite place de dispo sur un carré d'herbe, je sortirais la grande toile, comme le dit Céline.

Quels sont ceux à voir ? À Berlin, il y en a un juif, noyé sous la végétation. À Venise on lui a consacré une île, San Michele. Et en Espagne, il y a Sad Hill, le cimetière construit pour le tournage de la fin d'un Sergio Leone fameux. Si vous avez d'autres suggestions, écrivez-moi.


XXVII

La tombe derrière mon banc, Famiglia Murtula, possède trois bouquets frais de lys blancs.

J'aurais voulu t'en offrir au moins un. Que son parfum embaume ton espace et... non.

Au lieu de ça, je pense à toi, depuis un cimetière. Cocasse pour un amour mort-né.


XXVIII

Je bois des milkshakes au chocolat pour me rafraichir. C'est ce que je buvais à chaque fois que j'allais au parc d'attractions « Bagatelle ». Rares souvenirs heureux.


XXIX

Bande son : Pleasure Principle – Venera 16

XXX

Sassari est une des plus grosses villes de l'île, derrière Cagliari, elle comptabilise environ un dixième de sa population totale. C'est aussi ici qu'a lieu chaque année ce pour quoi je venais en Sardaigne, à la base. La Cavalcata sarda est un défilé de costumes traditionnels de tous les coins de l'île, portés par femmes, hommes, enfants et chevaux. J'apprends le jour où j'y pénètre, soit la veille de l'événement, qu'il est reporté à septembre. Pour calmer ma déception, je pars à la découverte des rues de cette ville. La Piazza Italiana, massive et vide, laisse place à un enchevêtrement de petites artères autour des quartiers de la cathédrale et de l'université. C'est plutôt vers le petit coin populaire après l'ancien marché couvert que je m'émerveille. Minuscules baraques adossées les unes aux autres, où sèche le linge aux fenêtres, devant un parterre fleuri et l'habitant qui vous guette depuis sa fenêtre, lâchant difficilement, comme un impôt, un retour à votre buenogiorno. Mon endroit préféré c'est la Fontana di Rosello, juste en dehors des remparts, au pied d'un immense pont moderne et du quartier éponyme, au bout d'une descente pierreuse que l'herbe envahit, s'écoule depuis douze bouches (les mois de l'année) une eau circulant autour de quatre statues (les saisons), allégorie du temps qui passe. À l'ombre d'arbres centenaires, sur une esquisse de banc limé par les âges et les séants, j'attends à mon tour que le temps me passe.


XXXI

La province de Sassari garde beaucoup de traces de son appartenance au royaume aragonais du XIVe siècle. En témoigne la toponymie de beaucoup de lieux de la côte ouest : Porto Torres, rio Mannu ou encore Alghero. D'après mes correspondants locaux, la langue sarde tiendrait elle aussi plus de ces influences que celles des italiens postérieurs à cette occupation.


XXXII

J'aime l'italien. Comment il est parlé, comment il faut le chanter pour être compris. C'est une jolie mathématique.

Pendant toute la première partie de ma scolarité, en bon élève résidant dans les Flandres françaises, j'apprenais le néerlandais, la langue de mes voisins. Je l'ai fait pour être dans la classe de ma petite amie de l'époque, Aurélie.

C'est parachuté en première littéraire que je me suis retrouvé dans une impasse : à Lille, où j'habitais dorénavant, il n'était pas question de néerlandais en LV2. Je fus donc inscrit en italient, sur le bon conseil de la directrice « c'est facile, c'est comme le français » me soutint-elle, éludant d'un tour de main les 4 ou 5 années d'enseignements qu'avaient suivies mes camarades. Jusqu'à la veille de Pâques précédant le baccalauréat, je crois qu'il n'est pas excessif de situer ma moyenne dans cette matière à 1 ou 2 sur 20 et mon niveau proche du zéro.

Comprenant l'enjeu d'un tel coefficient sur un bulletin fragile comme le mien, mon père m'a payé des cours avec l'aimable Maria et aux vacances Pâques, je passais deux semaines à Florence, chez une vieille dame, Teresa, qui s'occupait de m'envoyer en classe le matin et de me nourrir le reste de la journée.

Que puis-je dire de Firenze ? Je n'ai pas pénétré ses musées, préférant déjà errer à son dehors (comme Roma, ne dit-on pas que la ville est elle-même un musée à ciel ouvert?). Un après midi, posé au pied d'une large statue d'un jardin public, un homme s'est assis près de moi, a sorti son pénis et commençait à se tripoter faméliquement, tout en me priant « andiamo... andiamo » (allons-y). Je rentrais en pleurs chez cette dame, je voulais partir moi aussi.

Je n'ai jamais raconté ou écrit cette histoire.

Quelques semaines plus tard, j'ai eu 16 au bac, et la tête qu'a fait la prof en voyant ce résultat, parmi les meilleurs de sa promotion, est en bonne place sur mon tableau des petites victoires.

Je n'ai jamais perdu mon amour pour l'italien ou l'Italie.

Mais je n'ai jamais pu oublier ce trauma non plus.

XXXIII

Bosa encore.

Tout ce qu'il manque à cette ville c'est des bancs dans chaque rue pour s'asseoir, souffler et pouvoir dire : « que c'est beau ».

(même problème à Venise)

La serveuse du restaurant d'hier midi m'a donné le nom d'un bar associatif, la Casa del populo, assez unique dans son genre et dans ce cadre.


XXXIV

Tout le problème de la photographie vient de notre référentiel.

Regarder avec les yeux d'hier ce que nous voyons aujourd'hui.


XXXV

Faire un brin de toilette dans un lavabo, avec un savon et un débit d'eau débile.


XXXVI

Visiter de nouveau lieux abandonnés, en quête d'un toit pour se protéger des averses à venir.

XXXVII

Alghero, à une trentaine de kilomètres de Porto Torres, Sassari et Bosa. Joli centre historique, on l'appelle aussi – sans que j'en sois tout à fait convaincu – la « Barcelona sarda ». Rues faites de galets comme à Bosa, longues et hautes, ça ressemble un peu à La Valette (Malte) comme me le fait remarquer Cyprien. De très jolis coins au milieu du déluge habituel de boutiques souvenir, restaurants typiques, vendeurs de spécialités du terroir et magasins en chaîne. Passage obligatoire des circuits touristiques, j'entends un groupe de français se presser et se tirer la bourre dans une ruelle « plus qu'une heure avant le bus ». Au menu aussi, des allemands. Où ne sont-ils pas allés ceux-là aussi, avec leurs camping-panzer-car ?

En plus de tout ça, la ville surfe sur une identité catalane historique. Les panneaux des rues sont bilingues mais l'un semble plus anecdotique que l'autre (je vous laisse deviner). En tout cas le drapeau quadribarrada flotte fièrement au vent à Alghero. Je n'ai pas poussé l'outrecuidance jusqu'à interroger le manant dans la langue, mais si on s'éloigne un peu, par le sud, on finit par trouver de très belles plages où camper seul.



XXXVIII

La route panoramique d'Alghero à Bosa (SP 49) est de toute beauté (merci Roberto pour le trajet), et particulièrement les coins où on voit apparaître de petites cabanes de berger en pierre le long des côtes et des falaises, qui se détachent du bleu profond et envoûtant de la mer.



XXXIX

Nel blu di pinto di blu, plus connue sous le nom de Volare (oh oh, cantare oh oh oh) est une chanson de la fin des années 50 de Domenico Modugno, à l'époque du rebond économique italien post seconde guerre mondiale.

C'est le père de Lorenzo, Aurelio, petit sicilien excentrique, qui descendait dans la cave où nous répétions, saisissait le micro au moment de notre pause, pour nous chanter comme un crooner italien ce classique, en nous demander de l'accompagner.

Il n'avait pas beaucoup perdu de sa superbe mais Lorenzo était toujours gêné de ces interludes systématiques lors de nos répétitions. J'espère qu'ils vont bien, tous les deux, sous le soleil de Sicile.



XXXX

Il n'y a rien comme le son des cloches qui tintent au cou des moutons et brebis dans les monts.

Cela me transporte à un plateau où des vaches suisses me regardaient passer sur mon vélo et redescendre sur Genève dans cette ambiance sonore onirique.



XXXXI

Les tombes italiennes possèdent presque toutes un portrait photographique de leur défunt. Si je doute de pouvoir un jour y voir ma tête, le photographe se demande si un de ses portraits sera un jour utilisé de manière funèbre. Ce serait une sorte d’honneur mêlé à une récompense.

Précédent
Précédent

Fragments d’un récif mouleux (2/3)

Suivant
Suivant

Amer béton