CAMPAGNYOLO #5 Bastia e basta

Girolata (sep 2022)

46/ Le ferry embarque à nouveau son lot de motards. Ils se baladent d'île en île comme une nuée de sauterelles. Le prix de la traversée m'a toujours semblé exorbitant, à peu près 40 balles avec le vélo, alors que le trajet que se partage deux compagnies ne dure qu'une petite heure et que de Santa Teresa on voit en face Bonifacio, ça a du bon d'avoir le monopole de la solution pour traverser ce petit bout de flotte. Pourtant, arrivé au pied de la forteresse blanche, quelque chose a changé. Les cars ronronnent à la sortie du port, attendant une autre nuée, celle des groupes de touristes téléguidés, de laquelle je m'extrais, pédalant vers la sortie de la ville qui commence déjà à annoncer la couleur : mon n'veu, va falloir grimper.

Et puis j'ai ce sentiment. Il est étrange parce que je me sens de retour. Pas à la maison, ni en France franchement, parce que ça vexerait une partie de mon lectorat corse (inexistant j'imagine bien), mais parce que je connais ces routes vaguement, ces reliefs qui se délient à l'horizon, cette montagne plus présente, ses roches colorées, ce maquis à perte de vue, et comme lorsque je suis retourné en Sardaigne, un sentiment agréable m'enserre et me réchauffe le cœur et oui, oui enfin, une route en bon état !!! Alors je roule, je me suis extirpé de la circulation de Bonifacio pour rejoindre la T40, longue voie qui remonte jusqu'à Ajaccio et que je décide de suivre, parce qu'ici, au final, il n'y a pas tant le choix.

Je ne me suis jamais trop avancé à dévoiler mes itinéraires, car j'ai toujours avisé en fonction de mon état de forme/fatigue, de mes envies, des recommandations qu'on pouvait me faire. Si j'imaginais faire une sorte de parcours côte Est, Bonifacio > Bastia puis Cap Corse avant de reprendre le ferry, l'idée de faire un saut à Porto et Piana m'est venue à l'esprit, seulement ils sont de l'autre côté d'une féroce chiée de cols, sur la côte adverse. Alors j'ai revu mon parcours, je me suis dit, allez, j'vais essayer une remontée côte Est jusque Aléria puis traverser jusque Corte et Albertacce et redescendre sur Ota, Porto. Et sur place, j'ai décidé finalement de faire toute la côte Ouest, jusqu'au moins l'Ile-Rousse si possible, une côte que je connais pour l'avoir faite en stop l'année dernière, mais où à plusieurs endroits je m'étais dit, voyant de petits cyclistes galérer sous le soleil “hey, moi aussi ça me dirait bien d'être en PLS comme eux dans ces montées du diable”. Parce qu'ici, et deux journées m'en convainquent rapidement, on a affaire à un tout autre sport que celui pratiqué en Sardaigne question dénivelé. La chaleur est la même, le vent également présent, mais on est sur du plus ramassé, de l'ardu, du corsé en somme.



47/ Premier jour, Bonifacio jusque Propriano. De mer à mer, en passant par le col du lion de Rocapina et une longue ascension menant à Sartène. Le trafic de la T40 m'empêche un peu de profiter sans risque du paysage. Les corses ont cette réputation de rouler vite sur leurs routes, et doubler n'importe comment. J'en ai été témoin, parfois même à deux doigts de l'accident (notamment sur une portion que nous pratiquerons plus tard, un peu après Ajaccio), mais certains sont plus tête brulée que pilote, et le bord des routes en témoigne, une constellation de croix est semée le long du paysage montagnard. La première difficulté du jour est aux abords d'une roche célèbre qu'on appelle le Lion de Rocapina pour sa forme. Sous un soleil pénétrant, je gravis virage après virage, tête dans le guidon, l'échine du félin tandis que quelques grappes de cyclistes passent en sens inverse tout en nous saluant, moi et mon chargement. À chaque fois, suivant l’endroit où l'on croise nos compères, (pour ceux qui daignent vous saluer) je décèle un petit regard entendu quant à la difficulté de ce qu'on traverse, les uns descendant les épreuves que les autres vont traverser, juste après en avoir chié leur race pendant un bon moment à monter l'autre versant (eh oui, je me le répète souvent, comme un mantra, mais tout ce qui monte redescend). Après quelques bornes et lacets en descente, c'est au tour d'un autre col qui mène à Sartène de venir me casser les guiboles. Là, je dois m'arrêter dans une pente, ruisselant de sueur, pour grailler n'importe quoi, un petit truc, parce que c'est la fringale, et que la machine n'a plus rien à brûler. D'un bout à l'autre de la route, le soleil tape durement le bitume qui exhale son odeur que j'imagine ne pas être la plus saine pour l'organisme du sportif en action. Les voitures sont plus rares dans l'après-midi, mais reviennent après un court arrêt à Sartène, où j'avale un coca et réapprovisionne mon bidon en eau. Il ne me reste quasiment plus que de la descente avant de tomber sur les dernières pentes de Propriano, adossée à la mer. Un immense ferry qui détonne avec l’échelle de la ville attend son départ au port, quelques baigneurs parlent déjà de l'apéro sur son lido, mais l’ensemble n'a vraiment rien de joli, au contraire de Sartène, forte de son caractère typiquement corse, retirée sur son mont, avec ses hautes cases de pierre. Je passe la nuit sur une extension herbeuse du parking du supermarché local fermé le lendemain, première nuit depuis longtemps en extérieur où je dors de tout mon soûl.



48/ De Propriano à Ajaccio, on commence par longer la mer tout en grimpant jusque Abbartello, toujours sur la T40. Là, l'itinéraire gps que j'ai pris soin de vérifier (et qui me comptera moins de pentes raides — a priori) m'emmène sur des routes bis qui serpentent entre les monts tout-puissants qui se dressent dès que les rares plaines s'effacent et que la mer est dans votre dos. Car c'est inévitable, il faut en passer par ces dénivelés si je veux passer de l'autre côté, sur la baie ajaccienne, alors je passe quelques micros hameaux, Pietra Rossa, Tassinca, Furellu, et là c'est le drame. Je me fais remplir mon bidon par une mémé habitant la dernière maison du patelin qui me refile une eau de son jardin infâme. J'ai déjà sans le savoir commencé mon ascension du col de Gradella quand je porte à ma gueule la gourde et recrache instantanément le liquide après un tour en bouche. Un goût de vase et de plastique me reste sur la langue alors que je vide l'infamie sur le bas côté et poursuis sous la chaleur de monter. Mais c'en est trop. Sans eau, avec ma sudation intense, impossible de poursuivre. Aucune maison à l'horizon pour rincer le bidon et le remplir à nouveau. Redescendre pour ensuite remonter les routes qui m'ont fait jusqu'alors subir pour un brin d'eau me semble hors de question, surtout que je viens de passer des morceaux vraiment impossibles. Alors je continue, mais je pousse le vélo. À un moment, un papy en tenue me dépasse « allez le sommet n'est plus très loin ! » et je tente de me remettre en selle à son encouragement, mais c'est peine perdue, car la route qui stagne à un sommet, redescend en quelques boucles pour ensuite mieux remonter et s'enfoncer sur la montagne qui me fait face. Je perds un peu espoir. Aucune baraque à l'horizon, aucune source ou fontaine, rien. Alors je pousse. Encore et toujours. Virage après virage. Quelques rares voitures me dépassent. Ils doivent se dire : « hé coco, c'est pas comme ça qu'on fait du vélo, c'est dessus qu'i' faut s'mettre ! ». Et je leur rétorque mentalement, « eh bin tenez, je vous le laisse et je vous regarde, bon courage pour la montée ». Quand enfin j'atteins le sommet annoncé par une petite paillote qui fait restaurant, je me pose pour ma pause déj', déballe mon taboulet réchauffé par les rayons du soleil à travers les sacoches et bois goulument quelques gorgées de l'eau des chiottes. Je remarque sur le bar une pancarte bien connue des habitués de l’île, un symbole si j'ose, de la Corse, au même titre que les tags nationalistes « francesi fora » ou ceux du FLNC : NO CB.

Le col de Gradella annonce également l'embranchement de la route vers de longues bornes de pentes à dévaler sur une D55 dans un état i-rré-pro-chable, comme sortie neuve du paquet. Un véritable caviar, un billard, un velours pour les roues du cycliste, et tant mieux car quelques virages méritent leur pleine attention, ici, pas de seconde chance pour la roue qui s'aventure en dehors de la route. La côte découverte, je dépasse quelques plages où se ruent déjà les touristes et leurs longues files de bagnoles parquées qui annoncent l'arrivée vers Porticcio, destination plagiste par excellence au sud d'Ajaccio, qu'on voit se profiler de l'autre côté de la baie. La dernière portion de route se conclut par un retour à la T40, interdite au vélo, mais au diable, c'est à peu de choses près la seule route directe pour la ville.

Je ne m'en étais pas rendu compte en la pratiquant à pieds mais Ajaccio est vraiment une chaine ininterrompue de pentes diaboliques et impraticables pour le cycliste. Je monte pourtant jusqu'au Loretto, où une femme me tend un Oasis frais depuis sa voiture, voyant que je dégouline rien qu’à pousser le biclou dans les pentes. Je retrouve Milia, batteuse dans le groupe de Guillaume et ajaccienne pur jus, et ses parents, qui m'accueilleront pour les deux prochains jours afin que je me repose un peu. Mon avis sur la ville ne change pas. Toujours sans charme, comparée à Bastia. Toujours trop riche et huppée, je profiterai plutôt du charmant jardin de la famille pour m'allonger au pied d'un olivier et de ce temps calme pour un rendez-vous avec mon psychanalyste, le premier depuis un mois.


49/ Je dois comprendre certaines choses.

Je dois comprendre pourquoi je me fais du mal.

Pourquoi j'enrage, pourquoi je me dégoute ou je m'agace de ne pas être à la hauteur de ce qui m'arrive, ce que j'ai choisi.

Pourquoi mon corps me déçoit.

Pourquoi je dois continuer à le punir.

Comme le dit Cyril : « d'où vient cette détestation du corps » ? Nous connaissons ensemble la réponse et nous continuons notre travail analytique.

50/ J'ai eu la meilleure idée du monde à Ajaccio. M'expédier un colis pour me délester de quelques fringues qui pouvaient encore me servir par 5 ou 10 degrés. Le vélo a perdu presque 2 kilos, c'est prodigieux, et je pédale en m'éloignant de la dense circulation d'Ajaccio, que je remonte entre les files, adroit et agile. À une rue, un motard qui ne m'avait pas vu (et s'en excuse) manque de me rentrer dedans, deuxième alerte après que la veille, en plein virage que je monte à la sueur de mon front, un couple de retraité pile en plein milieu de la courbe qu'ils ont prit avec une générosité sans fin, enfin si, celle de mes roues.



51/ Depuis Ajaccio, la route m'est connue pour l'avoir fait des dizaines et des dizaines de fois en stop. Pourtant, j'ai cette impression bizarre, celle de me la rappeler, seulement au moment où je l'arpente et la redécouvre. Plus loin encore, je réalise qu'il me faut arriver dans les lieux de mes souvenirs pour les faire émerger à ma mémoire.

Bien entendu, il manque à ma mémoire des gros bouts de route, des pans de montagne et leurs virages qui apparaissent au fur et à mesure que je progresse, rallonge ma peine, mais je navigue dans un environnement beaucoup plus réconfortant, car je sais à peu près où commencent ces routes et où elles aboutissent, quels bleds je vais traverser et quand. C'est à ces moments-là qu'on se sent mieux, rassuré. Je passe le col de San Bastiano, traverse Tiuccia et m'enfile une canette de 50cl d'energy drink à Sagone. Ces morceaux du littoral sont d'une beauté sans nom. Derrière, les hautes montagnes et leurs sommets s'enfouissent derrière de menaçants nuages. J'ai peur que mon cœur n'explose avant d'atteindre Cargèse sous le coup de cette boisson diabolique que je m’offre à chaque fin de journée. La route du jour a été courte, je suis parti après le pic de chaleur, et un vent étonnement frais souffle depuis la mer sur mes bras. Enfin au village d'Yvan Colonna, je répare une frustration culinaire vieille d'un an : une pizza de chez Maremmiese devant un concert d'un duo interprétant des chansons corses. Vous n'imaginez pas la tête de l'auditoire bien comme il faut lorsque se pointe entre la poire et le fromage un cycliste puant et tatoué de partout. À Cargèse, je retrouve également Moujib, un chauffeur qui m'avait déjà plus d'une fois aidé dans mes déplacements l'année précédente, avant d'aller dormir dans une minuscule maison de pierre pour les voyageurs, posée presque à la pointe du village. Au large, les nuages rugissent, un orage frappe à intervalles irréguliers l'océan grisâtre.



52/ Une chose certaine que j'aime et que je ressens lorsque je voyage sur les îles, mais tout particulièrement ici en Corse, c'est d'être tributaire de la nature. Sur cette île, les éléments décuplent leurs forces et la nature décide du sort de ses habitants. Que ce soit en terme de tempête, d'orage, de vents et marées que doivent respecter les bateaux, la neige qui peut bloquer le franchissement d'un col (et fermer entièrement la circulation ou la traversée de l'île à Vizzavona, sommet de l'axe unique Bastia > Ajaccio par exemple), des vaches ou troupeaux de brebis qui s'aventurent sur les routes et n'entendent pas en bouger, des rochers qui s'éboulent et détruisent la chaussée dans leur chute (plus de 15 jours de fermeture entre Piana et Porto il y a deux hivers pour cette raison, l'unique déviation rajoutait aux bas mots 2h de route entre les deux villages voisins) ou de la chaleur du zénith que le cycliste tout particulièrement doit éviter, eh bien l'île de Corse s'exprime, les éléments qui la chahutent y sont souverains, et nous, petits êtres qui la pratiquons, devons nous tenir humbles face à elle.



53/ J'entends un couple de motards qui se plaignent de la chaleur matinale, il n'est même pas 9 heures, et de l'orage qui doit venir cet après-midi. Je me mets en selle pour cette micro étape, l'ascension jusque Piana, patelin suivant où j'ai bossé la saison d'été dernière. Mon plan est d'y saluer mes anciens collègues et quelques habitants que j'appréciais, de profiter un peu du cadre idyllique et de la proximité du parc des Callanches, somptueux panorama, parmi les plus beaux de Corse assurément. Mais avant, il y a une longue montée ! En fait, j'appréhendais cette route, ne l'ayant jamais pratiqué à vélo, et tous ses virages, l'altitude, m'inquiétaient un peu, eh bien au final, avec un petit arrêt à une fontaine où l'eau de source naturelle m'ayant bien rafraichi les idées, et avec un brin de musique dans les oreilles, tout s'est déroulé comme sur des roulettes et c'est sans véritable mal que j'aborde le sommet de cette route qui délivre une vue dégagée et superbe sur le golfe de Porto. Je salue donc mes anciens collègues (« tiens on parlait encore de toi ce matin, ça te dirait pas de rebosser ici ? On cherche un night » je décline poliment, étant engagé ailleurs) et part à la recherche d'habitants dont un vieux avec qui je jouais de temps à autre de la guitare l'été dernier. Au final, je tombe sur son cousin germain, rencontré par hasard, qui m'invite à diner et coucher chez lui, dans son terrain bien en dehors du village, retiré sur les hauteurs. José (Jean-Joseph) a 72 ans, était militaire de carrière, né à Piana, et a décidé d'y retourner il y a une dizaine d'années pour reprendre le terrain de son père et y vivre. Il y est autonome en eau et en électricité. Il n'hésite pas à me dénoncer les pratiques honteuses et les abus scandaleux de certains habitants et voisins en m'en faisant le détail et se lamentant du profond changement qui s'est opéré dans le caractère des insulaires, notamment de sa génération et des suivantes. Ce n'est pas la première fois que je suis témoin de ces propos et je vais me permettre de les synthétiser et les compiler dans un petit paragraphe dédié ci-dessous. Sachez simplement que José et sa compagne Marie-Jo, vivent maintenant dans un petit havre de paix qu'ils se sont construits avec l'aide de quelques amis et que leur accueil chaleureux m'a rappelé celui que l'on m'a réservé à plusieurs reprises en Sardaigne, mais plus rarement ici.



54/ La Corse est un sujet éminemment complexe.

De part son histoire, son don du royaume de Gênes à celui de France via des traités qui ne pouvaient être honorés, son indépendance éphémère (de 1755 à 1769) puis sa reprise par la force et son annexion à la France actée avec la révolution de 1789, et les pertes très lourdes de la population pour la première guerre mondiale, un sentiment tenace et persistant, une rancune sévère et un rejet de la puissance étatique qui s'est accaparée l'île possèdent toujours ses habitants. De l'autre côté, il faut voir un peu ce qu'était l'île jusqu'à il y a peu (cinquante ou cent ans), on naviguait en plein passé. Bien sûr, celle-ci de par sa spécificité d'île, sa géologie particulièrement abrupte et la disposition de ses routes et villages, garde par rapport au continent un traitement particulier et ainsi, ses infrastructures, son réseau et ses facilités d'accès sont propres à ceux d'une île. Là où cela pêche, c'est que derrière cette spécificité, la Corse accuse un retard certain sur le continent et les autres régions françaises, ce à plus d'un égard, tandis que l'égalité de traitement des citoyens prêchée par la République devrait pourtant régler.

Que vous naissiez en Corse ou en région toulousaine, vous n'aurez pas les mêmes chances ou facilités d'être soigné, d'étudier ou d'avoir accès à la culture. Et c'est un souci dans une république comme la nôtre. Cette différence de traitement qui perdure, de même que l'ignorance ou le mépris des politiques locales et besoins corses aux échelles plus importantes, au sommet de l'état notamment, comptent pour beaucoup dans ce rejet massif des institutions françaises. Et il y a le nationalisme. Une volonté passéiste de retrouver son indépendance, un projet à l'heure du jour illusoire pour toute personne sensée dans ce monde ultra-libéral et capitaliste où l'île n'a ni place ni légitimité à marchander, étant dépendante d'autrui au sujet de sa production d'énergie ou de sa gestion des déchets pour ne citer que ces deux éléments. Et il y a l'histoire du nationalisme, de ses mouvements de guérilla et de lutte armée, qui ont transité pacifiquement pour la plupart vers les élections locales et le pouvoir des urnes.

Maintenant, il faut aussi reconnaître que la Corse est dépendante de sa tutrice, à plus d'un titre. Et on peut s'amuser à demander un peu le job de la personne qui crachera sur la république, car avec un peu de chance, celle-ci avouera à demi-mot bosser pour la mairie de son village, à la DDE, chez les pompiers, ou sera fonctionnaire. Nombre de fois j'ai entendu dire par des personnes qui souhaitaient redonner à la France ses mérites que depuis quelques investissements et réfections de route de la seconde moitié du siècle dernier, on ne mettait plus 4h30 pour rallier son patelin à Ajaccio par des chemins terreux, mais plus qu'une bonne heure sur un bitume lissé. Je pense que ce n'est pas grossir le trait que de dire que si le tourisme fait manger une petite moitié de l'île, l'état pourvoit à la seconde. Ainsi l'île est rentrée dans une aire de modernité, découvre plein d'emplois différents de berger ou pêcheur, sa progéniture part étudier sur le continent ou à l'université de Corte créée en 1975, et le tourisme s'y développe jusqu'à la ravager.

Car si on peut lire sur ses murs « francesi fora » (vilains colons du balai, ouste!), faut quand même bien remettre l'église au milieu du village, une large partie de l'île et sa population ne vivent que grâce au tourisme, majoritairement français. Là où Françoise a raison, c'est quand elle me dit : « mais qu'est-ce qu'ils ont fait pour l'île et ses habitants au juste ces touristes ? A-t-on plus de transports en commun ? Des emplois toute l'année pour nos jeunes ? De meilleurs axes routiers ? Non, seulement des prix déraisonnés l'été, et des bouchons à tout bout de champs ». Car les prix de l'île sont vraiment abusés. Tout est a minima 20 ou 30% plus cher que sur le continent, et pour cause, il y a le transport mes amis... et... un certain appétit pour la marge de la part de nos amis corses. Ici c'est José qui me renseigne, et lui déplore que l'argent aie prit le pas sur les mentalités de ses congénères. Avec le tourisme de masse qui émerge, on retape la chambre de pépé, on loue la casetta de l'oncle berger, et les prix grimpant d'année en année, la demande suit, le nombre de toutous est toujours plus grand, et avec ces bénéfices, on étend son empire, par alliances, mariages, accords, magouilles. De là à parler de mafia, il n'y a qu'un pas, mais la cooptation, les arrangements, les planques sont légion ici. Je parlais d'immobilier, de terrains vendus à prix d'or (aujourd'hui, la plupart des insulaires ne peuvent même plus se permettre d'acheter tellement les prix ont atteint des sommets), mais José me dénonçait la cohorte de corses qui faisaient acte de présence dans un boulot de garde forestier le matin par exemple (poste un peu factice qu'il a obtenu avec l'aval d'un contact) et qui l'après-midi, devenaient électriciens ou n'importe quoi d'autre, mais sur le temps de travail du premier et sans déclarer leur seconde activité ! Et j'ai rencontré un de ces types. Et c'est « normal » ici. C'est normal de profiter de cette situation. Marie-Jo me racontait que certains infirmiers de l'hôpital d'Ajaccio (milieu qu'elle a professionnellement fréquenté) ne s'étaient pas pointé depuis plusieurs mois, continuaient à se faire payer grâce à leur influence, et venaient même se plaindre de ne pas toucher l'augmentation accordée à d'autres collègues plus assidus : du délire complet ! Tout se paye ici. Demander de l'eau pour sa gourde à un troquet, c'est prendre un corse dans ses phares et voir clairement le fond de son raisonnement « putain comment je vais lui demander de me payer ça ? ». L'autre jour j'étais à la table d'un bar/restaurant, aucun des cinq ou six plats du jour ne tombaient en deçà des 18/19€. Et je vous parle de tartare de bœuf ou de salade garnie à la corse.

Pour revenir à notre sujet, même si c’est un mal qui doit toucher plus largement toute notre société, l’argent facile et le manque de volonté à travailler est souvent revenu dans mes échanges avec des générations qui ont eu la chance de travailler sur le continent et ne pas reprendre les travails laborieux de leurs parents, avant de revenir sur l’île et d’y finir leur vie. Mais aussi bien ceux-là, que ceux qui sont restés sur l’île à plus ou moins galérer qui les vilipendent, s’entendent tous pour dire que les nouvelles générations ne sont bonnes à rien et n’ont aucun courage ou aucune ferveur au travail. Et pour cause, un certain confort, acquis dès l’enfance (il n’y a qu’à observer les tenues et le standing d’une sortie de collège ajaccien, comparable celles de Neuilly sur Seine ou des premiers arrondissements de Paris), dans de riches familles étendues et soudées (fortes de leur patrimoine terrien, de leurs locations saisonnières ou leurs entreprises) les décourage à gagner leurs propres deniers à la sueur de leur front.
En vérité le mal est plus grand que tout ça, en Corse, je ressens un appât du gain terrible, beaucoup plus présent au quotidien, par une population taxée en supplément parce qu’elle est ilienne. Comme tout y est plus cher, tous les prix des biens de consommation, prestations, services explosent les plafonds. Le sentiment de sécurité financière doit venir avec plus de biens et l’histoire de la Corse va vers une augmentation de la valeur de ces biens et une accumulation/concentration de ceux-ci, après une petite période où l’île s’est vendue aux plus offrants.



55/ Les roches des callanches se gorgent de soleil dès le matin. Elles rosissent avant de rougir et donner à ce parc protégé d'une beauté ineffable son aspect unique, ses couleurs. Ses pierres rugueuses, taillées à la serpe, sa végétation rare, ses quelques chèvres en liberté qu'on entend mugir au loin, et sa route si étroite où s'arrêtent les touristes pour faire ça et là des photos de ce panorama dont aucune photo ne rend le caractère propre à couper le souffle, le rouge sanguin des pierres détonnant avec le bleu profond du golfe de Porto.

Je pense que jamais je ne retrouverai l'état dans lequel j'étais lorsque pour la première fois, après une nuit au stade, je descendais la longue route de Piana à Porto, tôt le matin. C'était hors saison, il n'y avait pas un rat, et le soleil arrosait déjà ce spectacle naturel d'une lumière dont lui seul a le secret. Depuis, grâce à ma saison estivale aussi, j'ai tenté des dizaines de fois de retrouver ce sentiment de bonheur, d'équilibre au pied des gouffres millénaires, dans lequel j'étais projeté cette première fois. Aujourd'hui encore, j'ai essayé. C'était sans compter la circulation, les touristes émerveillés, mais je me devais de passer ici, sur cette route afin de voir si le vélo n'y changerait pas quelque chose. Eh bien non. Le vélo ne fait que dérouler cet amoncellement magnifique en une peinture futuriste aux teintes chaudes.

Arrivé à Porto, il y avait pour moi deux choses à faire :

  • Le travail de la nacre est une petite boutique qui propose des bijoux, notamment fait à partir de corail rouge, matière que l'on retrouve dans tout ce coin méditerranéen mais sujet à bien des contrefaçons. Ici j'étais certain de la provenance des matériaux et de la fabrication maison, c'est donc un petit talisman corse que je me suis offert pour « célébrer » mon voyage.

  • Découvert lors de mon premier séjour (juste après la descente des callanches donc), un petit resto thaï se niche à Porto et est tenu par Patrick, ancien militaire et ayant vécu plusieurs décennies en Thaïlande. C'est sa femme qui cuisine tous ses petits plats et c'est rudement bon (et puis ça change et c'est rarissime de trouver ce genre de cuisine sur l'île), alors je ne pouvais pas bouder mon plaisir.

Le long et fin coup de lame qui taillade les falaises de l'autre côté du golfe doit être ma route, celle qui mène au col de la Croix. Il me faut d'abord traverser des petits villages déserts, allongés face à la mer, Serriera, Partinello, Curzu et enfin Osani, en contrebas du col de la Croix. Il est entre 14 et 15h quand je m'attaque à ce morceau que je redoute. Je n'ai fait cette route en stop que deux fois, et à chaque virage, des nouveaux tronçons apparaissent. Avec l'étroitesse de certaines portions, vient un autre danger : les vaches et leurs bouses. Elles gambadent librement, remontant les routes et chiant partout. Ce que je pensais être l'unique ascension du jour est en fait la première moitié d'un autre col (Palmarella), légèrement plus haut (269 contre 408 mètres) qui vous fait passer en Balagne, la région du nord-ouest de la Corse. Une longue descente se poursuit ensuite jusque la rivière du Fango et son embouchure, le petit village de Galeria. Là encore, vaches en divagation dans toute la ville, mais ce qui amuse les touristes est un vieux coup fumeux des éleveurs locaux qui, pour toucher des aides et subventions de l'Europe, se prêtaient des vaches afin de grossir leurs troupeaux qu'ils laissaient brouter en toute liberté. Si je m'endors avec la peur qu'une vache somnambule ne piétine la tente ou le vélo, la nuit sera au contraire très calme, à quelques pas de la mer.

56/ Depuis la fin de l'épisode sarde, au moindre effort, la bécane couine et grince. Elle aussi fatigue.



57/ La route de Galeria à Calvi n'a pas grand chose à envier à d'autres que j'ai pu rouler en Sardaigne, et pour cause, elle est dans un état lamentable. Si abimée qu'il est peu évident de lever les yeux et profiter du paysage côtier (bon et puis ça monte un peu mine de rien depuis Galeria). Cette route fait partie de celle qui n'ont jamais été refaite me confie un habitant de l'Ile-Rousse plus tard dans la journée. Elle n'est empruntée que par quelques rares locaux et vignerons ou les touristes venus faire le tour de l'île. On ne voit du mieux qu'à quelques kilomètres de Notre Dame de la Serra et l'entrée prochaine dans Calvi, déjà annoncé par la présence de catamarans high tech plus grands que chez vos oncles et tantes. Calvi et sa petite citadelle me semblent toujours surfaits mais je profite de la relève de la garde pour me glisser dans une douche de la Capitainerie, aussi rapide que revigorante ! Au large du port, un de ces rafiots format immeuble de La Défense a déversé son vomis de touriste pour quelques heures et s'apprête à sonner la retraite. Le reste de l'après-midi, je fais route sur l'Ile-Rousse avec pour but d'y regonfler mes pneus (crevaison lente la veille après Porto) afin d'attaquer au mieux la dernière portion de mon voyage, jusque Bastia.



58/ J'ai dormi à l'orée d'un camping de la plage de Corbara (charmant village sur les hauteurs de la T30 qui relie Calvi à Ponte Leccia – carrefour de l'île entre l'axe Calvi/Bastia pour Corte/Ajaccio), Bodri. Il y avait une petite terrasse déserte, quelques tables et chaises et un chiotte tout propre et une prise fonctionnelle : j'étais arrivé au ciel.

Au matin, je choppe un melon corse à 1€ (en fait, si ça s'trouve, je suis vraiment au Paradis?) parce qu'il est plus beau et qu'il va bientôt finir à la poubelle. Erreur mon cher Watson ! C'est avec le flair seulement, le blair collé au train du spécimen, qu'on peut savoir s'il cache ou non un fruit délicieux. Merci, une fois de plus, à mon grand-père George pour cette « technique » car sans lui, je ne me serais pas autant régalé dans ma vie. Sorti de l'Ile-Rousse, je fais bataille rangée avec les motorisés sur la T30 avant de louer le Seigneur qui crée la bifurcation vers le désert des Agriates (un poids-lourd m'y avait déposé l'année dernière, lui y tournant – mais pas moi – cette fois les rôles sont inversés). À chaque fois qu'il va y avoir de la circulation, j'opte pour l'iPod dans les oreilles afin de ne pas trop me blaser du comportement des uns et de la route (souvent pénible et peu ravissante dans ces moments).

En qualité de désert, bon, c'est pas bien ce que je me figurais car vous avez affaire une bonne partie du temps à de la grimpette le long des montagnes. Mais en revanche oui, désert oui, pas de Super U, pas de Tiff'Any Coiffure ou du tabac PMU Chez André (mais un relais de la fontaine, seul point d'eau du désert) dans ce tronçon de l'île. Encore une fois – vous allez croire que je fais le gars fort – mais pas de réelle difficulté à hisser ma mule au sommet du désert des Agriates où attendent bien gentils plusieurs touristes leur balade en 4X4 jusque la plage reculée de Saleccia. En vérité je dois vous dire que le poids en moins (le colis que je me suis envoyé à Megève), plus le repos ajaccien, plus ma séance de psy, ont fait de moi un homme neuf. Dingue non ? Rien qu'en pédalant je vois la différence ! Lorsque je grimpe, je n'ai plus le regard perdu sur mes jambes qui pédalent dans la semoule mais devant ! Bim ! Tête relevée, fier et détrempé, oui madame !

Bon sur ce, on arrive à St Flo(rent) comme disent les gens du cru. J'ai failli y bosser cet été à ce petit « St Trop' » corse. Cette appellation doit nous mettre la puce à l'oreille : on mange sa ration achetée chez Leclerc et on met les bouts, direction le vrai Cap Corse ! En passant par les vignobles de Patrimonio, on grimpe grimpe et on finit par poser pied à terre à Nonza.

Le village est superbe. On aurait du mal à imaginer mieux : petites ruelles intestines à recoins, chats errants, place centrale animée autour de son peuplier lépreux, bar à prix juste (mais concoction du Moscow Mule à revoir) et vue imprenable, plage, fontaine, église décolorée kawai, joueurs de pétanque et resto où les corses emmènent leurs poules fraichement repeintes sur leur 31. Moi, depuis mon banc et ma salade de boulgour, je profite de chacun de ces instants. Du petit lait.



59/ Très court aparté sur la plage de Nonza, presque noire (ses galets) et pas si accessible depuis le centre du village. J'apprends qu'elle est artificielle et qu'elle émane des rejets de serpentine (roche noirâtre du coin) d'une usine de forage d'amiante juste après le village de Canari, à quelques bornes. L'usine a fermé ses portes en 1965, créant par ses rejets de plusieurs tonnes de pierre, quelques plages artificielles comme celle de Nonza (qui a grappillé près de 300 mètres sur la mer comme même!). La page wikipedia est très bien écrite (et critique) à cet égard.



60/ L'odeur des pins maritimes a une puissante emprise sur moi.

Ça me rappelle Aix-en-Provence, il y a bien longtemps, avec les gamins de deux ami.es de mon père. Leur jardin, ces pins, la chaleur et l'odeur qu'ils exhalaient tandis que sifflaient les grillons l'heure de la sieste. Nous construisions des maisons réduites en brindille et c'est la première fois où j'ai mangé de la pastèque.



61/ Oops, I did it again.

Après le caveau de Venzolasca, le petit parc où trois tombes me font face. La tente est plantée de façon déplorable mais je ne peux pas faire mieux car le sol est dur comme de la pierre. Il n'y a que quatre sardines sur la douzaine alors la toile est tendue piteusement, mais qu'importe.

Je suis réveillé à deux reprises par des animaux sauvages dans la nuit : le premier est un renard ou un chien peureux qui a déguerpi dès que je me suis relevé et que j'ai sais ma lampe ; le second est vraisemblablement un sanglier qui remontait le cour d'eau asséché en contrebas et qui a lui aussi filé fissa à la première lueur de ma frontale. C'est en revanche un bucheron bien matinal qui à 7h, un dimanche, commençait à couper son bois pour l'hiver, qui me réveille à coups de tronçonneuse. Je remballe en deux temps trois mouvements le campement, déjeune sur le pouce mes restes et reprends une route tranquille qui se réveille à peine.

62/ Je vous écris depuis le bout du Cap Corse. J'ai repéré tout à l'heure depuis un bar en bord de mer une petite cabane style pêcheur, à 500m de la sortie du village, alors je m'y suis glissé, à l'ombre du soleil de midi, trônant sur une mer translucide.

Je suis à Macinaggio. L'histoire veut que je voulais faire étape plus tôt, après ce départ matinal en fanfare, à Centuri (38km de Nonza, que ça monte et que ça redescend) et j'ai laissé passer le village sans m'y arrêter, croyant que ce dernier était découpé en hameaux dont un longerait la D80 (qui fait le tour du Cap) que je remontais. Tant pis, j'ai continué jusqu'au Moulin Mattei (pas de quoi tirer la langue mais ça grimpe plus que précédemment j'ai l'impression) avant de redescendre sur le versant oriental, opposé à tout ce que je venais de parcourir. Je suis dans cette petite propriété et je pense à deux choses :

A) la possibilité de supprimer pour un état la propriété terrestre, nationaliser l'ensemble de son territoire, devenir l'unique bailleur des biens immobiliers et garantir à la fois l'entretien mais aussi le logement pour tous. Il n'y aurait plus d'héritage foncier, seulement des loyers à s'acquitter en fonction de votre rémunération ou fortune et du bien que vous souhaitez occuper. D'autres mesures peuvent être imaginées à partir de là pour garantir l'équité et la remise à disponibilité des biens.

B) Le Cap Corse m'évoque de longues calanques de Piana. Bien sûr la couleur n'est pas la même, mais on traverse pléthore de patelins aussi (voir plus) mignons que Piana. Ses routes (en super état soit dit en passant) sont somptueuses, de virage en virage vous découvrez des panoramas à vous couper le sifflet, les cimetières qui font face à la mer sont magnifiques, bref, plusieurs corses m'avaient dit « tu vois, le Cap Corse, c'est le plus beau coin de l'île d'après moi » (et Nonza était cité à plusieurs reprises comme plus beau village), eh bien je leur donne raison à ces gens, tout est à tomber.

J'aimerais que ces routes soient toujours aussi désertes que lorsque je les ai abordées. Le vélo vous donne l'impression que certaines choses se méritent.



63/ Nuit tranquille à la cabane du pêcheur. J'ai perché ma tente dans le terrain attenant, face à la mer, face au lever du soleil. Le soir, alors que le vent se levait petit à petit, j'observais un cormoran sur son rocher, guettant le large et un repas. Je m'attendais à un envol magistral, un piquet digne des meilleurs aviateurs et un plongeon net, sans remous, mais c'était sans compter le fait que je n'avais jamais passé plus d'une minute à regarder ce genre d'oiseau. Les vagues successives et croissantes commençaient à mouiller ses pattes, ce que la bête ne semblait pas apprécier, finalement, au bout d'un long temps, le piaf a déployé ses deux ailes massives, les a battu, genre démarrage du tarmac, et a effectué un bond de dix centimètres pour se jeter à l'eau. C'était tellement ridicule que je suis parti me coucher lorsqu'il a eu fini de disparaître dans l'horizon marin, plongeant ça et là le cou dans la flotte afin de dénicher je ne sais quoi. Tout ça pour vous dire aussi qu'hier après-midi a été mon premier bain de l'année après tous ces kilomètres de côte longée, en France, en Sardaigne et ici, en Corse. Et l'eau était bien bonne.

Nuit si tranquille que j'ai fini par ne plus entendre la rumeur de la mer. Qu'elle s'est dissoute dans mon sommeil jusqu'au matin, où les rafales soulevaient la toile de tente brutalement, annonçant une route jusque Bastia vent dans le pif. Heureusement, pas de route difficile, juste la D80 qui monte faiblement et redescend pour épouser parfaitement la découpe orientale du Cap jusque Bastia.

A contrario d'Ajaccio, je trouve que Bastia a beaucoup de charme, malgré ses deux rues pleines de boutiques pour les gens qui ont de l'oseille et sa population qui ne se cache pas de le montrer, sa citadelle, ses rues en pente, ses escaliers, son petit port, tout ça ne me laisse pas insensible.
Voilà, c'est ainsi que se termine cette aventure de quasi deux mois. De Lille à Bastia en passant par un paquet de destinations. Je ferai le compte des kilomètres parcourus à tête reposée, pour m'en faire valoir plus tard. D'ici là, il me faut boucler encore un Toulon-Valence avant d'embarquer dans un train qui me ramènera à Megève pour y travailler deux mois. Pas sûr d'écrire sur ces quelques jours de biclou tête dans le guidon, alors merci de m'avoir suivi jusqu'ici, et à une prochaine sur les routes de toujours.

PS du 21 juin : après toutes ces bornes, je ne trouve pas tant de fierté à en faire le détail ou me plonger dans ces statistiques que d’anciens collègues ou amis démonteront à leur prochaine sortie dominicale. J’ai voyagé à mon rythme, oscillant avec mes limites mentales et physiques. En fait, lorsque j’ai imaginé porter ces tirages à vélo, je ne m’attendais pas. à ce que ce soit si dur, pour moi, mon corps empâté, la longueur de la route et certaines étapes, nuits sans sommeil. Et puis, jour après jour, j’ai tenu bon, même si j’ai eu besoin de cette pause parisienne d’une dizaine de jours pour me refaire. Et j’y suis arrivé, à Toulon, puis au ferry suivant, à l’île d’après, toujours heureux de renouer avec ses habitants, ses panoramas qui me parlent à moi, diffusent en moi leur essence, un peu de bonheur et de sérénité. Et j’ai livré ces tirages. À la force de mes jambes, à la sueur de mon front, et grâce à ma persévérance. Et j’ai retrouvé ces gens, les ai surpris, apporté un peu de bonheur aussi, à ma façon. Et j’ai poursuivi ma route, vu le Cap Corse que je désirais tant. Et j’ai tenu bon, encore et encore. Il y aura toujours après cette montagne une pente plus raide à grimper, me disais-je. Si pas demain, la semaine prochaine, à mon prochain voyage, mais je suis heureux de me connaître un peu plus, moi et mes limites, moi et les autres. Partir est le plus beau remerciement que je me suis offert.

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